Nvidia et AMD acceptent de verser 15 % de leurs revenus liés à la vente de puces d’IA en Chine à l’État américain

Un accord inédit oblige Nvidia et AMD à céder 15 % de leurs revenus chinois à l'État américain. Cette décision, lucrative, soulève de vives critiques sécuritaires et constitutionnelles à Washington, plaçant les entreprises au cœur des tensions.

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Christian Morizot
Christian Morizot
Pigiste ardu
Christian Morizot, c’est un peu le couteau suisse du numérique : pigiste depuis presque dix ans, il a roulé sa bosse dans la tech et le...
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© Photo : MichaelVi (Depositphotos)

Un accord financier hors du commun vient d’être conclu entre l’administration Trump et les géants des semi-conducteurs. Cet arrangement concerne directement les entreprises Nvidia et AMD, qui devront désormais verser au gouvernement américain une part de leurs revenus issus de la vente de puces d’intelligence artificielle (IA) à la Chine.

Cette nouvelle politique, qui transforme l’État en partenaire commercial, suscite déjà de vives critiques et de nombreuses interrogations quant à ses implications pour la sécurité nationale et sa conformité avec la Constitution américaine.

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Un partenariat financier inédit

L’accord stipule que Nvidia et Advanced Micro Devices (AMD) verseront 15 % des sommes perçues sur la vente de leurs puces dédiées à l’intelligence artificielle sur le marché chinois. Cet accord a été conclu le mois dernier, peu après l’autorisation accordée à Nvidia de commercialiser une version spécifique de ses puces d’IA en Chine.

Mercredi, le PDG de Nvidia, Jensen Huang, a rencontré le président Trump à la Maison-Blanche pour finaliser les termes de cette commission de 15 %, faisant du gouvernement fédéral un associé dans les activités chinoises de l’entreprise. Deux jours plus tard, le département du Commerce a commencé à délivrer les licences d’exportation nécessaires.

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Bien que Nvidia soit au premier plan de ces négociations, AMD est également concerné. L’entreprise commercialise en effet une puce d’IA, la MI308, dont la vente à la Chine avait également été interdite en avril par l’administration Trump. Cet arrangement pourrait rapporter plus de 2 milliards de dollars au gouvernement américain.

Selon les estimations de Bernstein Research, Nvidia prévoyait de vendre plus de 15 milliards de dollars de puces H20 en Chine d’ici la fin de l’année, tandis qu’AMD tablait sur 800 millions de dollars de ventes.

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Un revirement politique controversé

Cette décision marque un revirement radical de la part de l’administration Trump, qui avait interdit ces mêmes exportations en avril. La crainte était que cette technologie soit utilisée par la Chine pour combler son retard sur les États-Unis dans le domaine de l’intelligence artificielle. Ce revirement a été perçu comme une concession majeure, divisant les observateurs et les experts en sécurité.

Le secrétaire au Commerce, Howard Lutnick, a tenté de justifier cette nouvelle approche en affirmant que l’objectif était de maintenir une avance technologique sur la Chine. « Nous ne leur vendons pas notre meilleur matériel, ni notre deuxième meilleur, ni même notre troisième meilleur », a-t-il déclaré sur CNBC le mois dernier. Selon lui, cette stratégie vise à maintenir la dépendance de la Chine aux puces américaines.

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Jensen Huang a défendu cette position auprès du président Trump, arguant qu’une interdiction totale ne ferait que nuire aux entreprises technologiques américaines. Il a expliqué qu’une telle mesure permettrait à des concurrents chinois, comme Huawei, de dominer le plus grand marché mondial de semi-conducteurs.

Les bénéfices ainsi générés par Huawei pourraient être réinvestis dans la recherche et le développement, réduisant l’écart avec Nvidia et AMD. Un porte-parole de Nvidia, Ken Brown, a déclaré : « Bien que nous n’ayons pas expédié de H20 en Chine depuis des mois, nous espérons que les règles de contrôle des exportations permettront à l’Amérique de rester compétitive en Chine et dans le monde entier. »

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Vives critiques sur le plan de la sécurité nationale

L’accord a immédiatement provoqué un tollé parmi les experts en sécurité nationale, opposés à la vente de puces d’intelligence artificielle à la Chine. Ils s’inquiètent en effet que cette décision, qui monétise les licences d’exportation, n’encourage Pékin à faire pression sur d’autres entreprises pour obtenir des arrangements similaires sur d’autres technologies sensibles, comme les outils de fabrication de semi-conducteurs.

Liza Tobin, qui a été directrice pour la Chine au Conseil de sécurité nationale sous les administrations Trump et Biden, a exprimé de vives réserves. « C’est un but contre notre camp qui incitera les Chinois à intensifier leurs efforts et à faire pression sur l’administration pour obtenir davantage de concessions », a-t-elle affirmé. Selon elle, cette approche est mal adaptée à ce domaine stratégique : « Vous vendez notre sécurité nationale pour des profits d’entreprise. »

En juillet, deux anciens responsables de la sécurité nationale de l’administration Trump, Matt Pottinger et David Feith, ainsi que 18 autres experts, avaient cosigné une lettre qualifiant ce changement de politique de « bévue stratégique qui met en péril l’avantage économique et militaire des États-Unis en matière d’intelligence artificielle ». Le groupe a souligné que la puce H20 serait « un puissant accélérateur des capacités d’intelligence artificielle de pointe de la Chine, et non une puce dépassée ».

Des doutes sur la constitutionnalité de l’accord

Au-delà des préoccupations sécuritaires, des doutes ont été émis quant à la légalité de l’accord. Des experts juridiques estiment en effet qu’il pourrait violer l’interdiction faite par la Constitution américaine d’imposer des taxes sur les exportations.

Peter Harrell, ancien directeur principal pour l’économie internationale à la Maison-Blanche sous l’administration Biden, a commenté la situation sur les réseaux sociaux : « Outre les problèmes politiques liés au fait de facturer à Nvidia et AMD une part de 15 % de leurs revenus pour vendre des puces avancées en Chine, la Constitution américaine interdit formellement les taxes à l’exportation. »

Christopher Padilla, un haut fonctionnaire du contrôle des exportations sous l’administration de George W. Bush, a qualifié l’accord de « sans précédent et dangereux ». Il a insisté sur le fait que le but des contrôles à l’exportation est de protéger la sécurité nationale et non de générer des revenus pour le gouvernement. « Cet arrangement ressemble à de la corruption ou du chantage, ou aux deux », a-t-il ajouté. Traditionnellement, le gouvernement américain affirme que ses contrôles à l’exportation sont motivés par des impératifs de sécurité nationale et non par des considérations économiques.

Une position délicate pour Nvidia

Les succès de Nvidia à Washington lui ont valu des complications à Pékin. Le mois dernier, le régulateur chinois de l’Internet a convoqué Jensen Huang pour discuter de la possibilité que la puce H20 présente des « risques de sécurité par porte dérobée ». Les médias d’État chinois ont depuis découragé les entreprises locales d’acheter cette puce. En réponse, Nvidia a publié un billet de blog la semaine dernière dans lequel l’entreprise affirme que ses puces d’intelligence artificielle ne contiennent aucune porte dérobée et qualifie de telles vulnérabilités de dangereuses.

Cette entente entre les deux géants américains et le gouvernement américain établit un précédent troublant dans les relations commerciales internationales. Jamais auparavant le département du Commerce n’avait accepté d’accorder des licences d’exportation en échange d’une part des revenus.

Cet arrangement s’inscrit dans une stratégie plus large de l’administration Trump qui utilise les droits de douane pour encourager la production domestique. La semaine dernière, Trump a menacé les entreprises technologiques d’un droit de douane de 100 % sur les semi-conducteurs fabriqués à l’étranger, à moins qu’elles n’investissent aux États-Unis.

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