La quête des fragments de l’histoire conduit souvent à des révélations inattendues. C’est l’histoire d’une égyptologue espagnole, Marina Escolano-Poveda, qui s’est lancée dans un voyage pour percer les secrets d’un mystérieux papyrus vieux de 4 000 ans, révélant les profondeurs de la philosophie égyptienne antique et, par là même, éclairant des questions qui hantent l’humanité depuis des millénaires.
Les fragments en question appartiennent au « Débat entre un homme et son Ba (âme), » un texte considéré comme l’un des plus anciens écrits philosophiques connus, antérieur même au terme « philosophie » lui-même, qui trouve son origine dans la Grèce antique. Ce texte, conservé au Musée égyptien de Berlin, est considéré comme l’un des papyrus égyptiens les plus importants au monde, ce qui rend la découverte d’Escolano-Poveda d’autant plus monumentale.
Escolano-Poveda, chercheuse passionnée originaire d’Alicante et titulaire d’un doctorat en égyptologie de l’université Johns Hopkins, est tombée par hasard sur de petites bandes de parchemin au musée biblique de Majorque. À son grand étonnement, ces fragments constituaient l’en-tête manquant du « Débat entre un homme et son Ba, » complétant ainsi le puzzle historique. La native d’Alicante recherche à présent des fonds pour relier physiquement les fragments au papyrus original, assurer une conservation adéquate et achever son étude avant de les renvoyer au musée de Majorque.
Le « Débat entre un homme et son Ba » est une conversation entre un homme malade et son âme, qui réfléchit à sa situation et à la condition humaine. Ce texte profond aborde les émotions, les peurs et la question intime de savoir si la vie vaut la peine d’être vécue dans des circonstances défavorables. Son importance réside dans le fait qu’il donne un aperçu de la conception égyptienne de la mort, car il aborde ces questions existentielles sur un ton remarquablement personnel et intime. La rareté de ce texte est soulignée par le fait que les compositions littéraires étaient peu nombreuses à cette époque.
L’analyse novatrice d’Escolano-Poveda a été accueillie avec enthousiasme par les plus grands spécialistes de la littérature égyptienne classique, tels que James Allen, de l’université Brown, et Richard Parkinson, d’Oxford. Le rouleau de papyrus, publié pour la première fois en 1896 par l’égyptologue allemand Adolf Erman, avait été examiné par de nombreux experts du monde entier, mais sa signification complète restait insaisissable en raison de la première partie manquante. Le fragment de Majorque, qui révèle le contexte du texte, à savoir une conversation avec un mourant, a été la clé qui a permis d’en dévoiler le sens complet.
Le parcours de Marina Escolano-Poveda vers cette remarquable découverte a commencé en 2010, lorsqu’elle s’est rendue au musée biblique de Majorque pour donner une conférence sur la pierre de Rosette et le rôle de la langue copte dans le déchiffrage de l’écriture hiéroglyphique. Au cours de sa visite, on lui a montré plus de soixante petits fragments, qui avaient été largement ignorés jusqu’alors. Malgré leur aspect sec et cassant, ces fragments ont suscité son intérêt en raison de leur ancienneté, de la langue égyptienne classique et de l’écriture hiératique qu’ils portaient. À l’époque, elle n’avait pas conscience de leur importance.
La collection du musée, rassemblée en grande partie par Bartolomé Pascual Marroig, un évêque majorquin passionné par l’Ancien Testament, comprend des parties du célèbre Livre des morts. La manière dont les fragments sont arrivés à Majorque reste un mystère. On suppose que les rouleaux de papyrus, découverts en Égypte dans les années 1830, ont été vendus aux enchères à Londres et intégrés à la collection de Berlin en 1843. On ignore toutefois comment une partie de ces rouleaux s’est retrouvée à Palma.
Dans les années qui ont suivi sa première visite au musée, Escolano-Poveda s’est consacrée à l’étude approfondie des fragments. Elle a également visité le musée de Berlin, où elle a analysé le rouleau de papyrus du « Débat entre l’homme et son Ba » avec l’autorisation du Dr Verena Lepper, conservateur de ces papyrus. Après avoir minutieusement analysé et comparé les fragments de Majorque et le parchemin du musée de Berlin, elle a fait une percée au cours d’une nuit d’insomnie. Elle se rendit compte que le même scribe avait écrit les textes de Berlin et de Palma, complétant ainsi le même texte.
La découverte de Marina Escolano-Poveda a des implications considérables, car elle souligne l’importance culturelle de l’Orient dans l’histoire de la civilisation occidentale. Gerardo Jofré, directeur de la Commission du Musée biblique de Majorque, a souligné l’importance de cette découverte et a fait état des défis posés par la conservation du matériel et des problèmes potentiels liés à la sortie des papyrus du musée, puisqu’ils appartiennent à l’Église et à l’État espagnol.
L’histoire du scribe de l’Égypte ancienne et du chercheur d’Alicante met en lumière la quête perpétuelle du savoir et l’importance de la préservation de notre patrimoine culturel commun. La découverte d’Escolano-Poveda complète non seulement un puzzle historique, mais fournit également des informations inestimables sur la philosophie de l’Égypte ancienne et la condition humaine. Alors que les efforts se poursuivent pour réunir physiquement les fragments et assurer leur bonne conservation, l’héritage de ce mystérieux papyrus vieux de 4 000 ans sera préservé pour que les générations futures puissent y réfléchir et en tirer des enseignements.
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