Selon une nouvelle étude, les cris des bonobos révèleraient des traces de langage fondamentales

Une nouvelle étude révèle que les bonobos utilisent une syntaxe complexe dans leurs vocalisations, remettant en question l'unicité du langage humain et suggérant que la compositionnalité serait apparue il y a au moins 7 millions d'années.

Par
Olivier Delavande
Fils d’un père français et d’une mère vietnamienne, Olivier Delavande a baigné dans une double culture qui a façonné sa curiosité et son ouverture d’esprit dès...
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Les cris des bonobos présentent des traces de langage structuré, comme l’ont démontré des chercheurs de l’université de Zurich et de l’université Harvard dans une étude publiée dans la revue Science. Cette découverte bouleverse notre compréhension des origines de la communication humaine. Cette découverte remarquable, réalisée par des chercheurs des universités de Zurich et Harvard, démontre que nos cousins primates combinent leurs vocalisations d’une manière qui rappelle étonnamment notre propre façon de combiner des mots pour créer du sens.

Une avancée scientifique majeure

L’équipe internationale dirigée par Mélissa Berthet, chercheuse postdoctorale au département d’anthropologie évolutive de l’université de Zurich, a étudié les bonobos sauvages vivant dans la réserve communautaire de Kokolopori, en République démocratique du Congo. Leurs observations ont révélé que ces grands singes utilisent une syntaxe particulière et complexe dans leur communication vocale.

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« Nous avons pu quantifier le lien entre la signification des cris individuels et des combinaisons de cris des bonobos », explique Simon Townsend, professeur à l’université de Zurich et auteur principal de l’étude. Jusqu’à présent, cette capacité à combiner des vocalisations pour créer de nouvelles significations était considérée comme exclusivement humaine.

Selon une nouvelle étude, les cris des bonobos révèleraient des traces de langage fondamentales
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Un dictionnaire bonobo pionnier

Pour mener cette recherche novatrice, les scientifiques ont d’abord élaboré un véritable dictionnaire bonobo, une première dans l’étude de la communication animale. « Cela nous a permis de créer une sorte de dictionnaire des bonobos, une liste complète des cris et de leur signification », explique Mélissa Berthet.

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Les chercheurs ont enregistré plus de 400 heures de vocalisations et documenté minutieusement le contexte dans lequel chaque cri était émis, en prenant en compte plus de 300 variables comportementales et situationnelles. « Nous partions du principe qu’un cri pouvait donner un ordre, annoncer une action future, exprimer un état interne ou faire référence à un événement externe », précise Mélissa Berthet. Cette méthode rigoureuse a permis d’établir la première liste complète des vocalisations d’une espèce avec leur signification correspondante.

La compositionnalité : essence du langage humain chez les bonobos

La compositionnalité, cette capacité à assembler des unités de sens pour former des expressions plus complexes, constitue l’une des caractéristiques fondamentales du langage humain. Les linguistes en distinguent deux types : la compositionnalité triviale et la compositionnalité non triviale.

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Dans la compositionnalité triviale, chaque mot a une signification indépendante. Par exemple, « danseur blond » désigne simplement une personne qui est à la fois blonde et danseuse. La compositionnalité non triviale, plus sophistiquée, implique que le sens d’un élément est modifié par l’autre. Ainsi, « mauvais danseur » ne désigne pas une mauvaise personne qui pratique la danse, mais qualifie plutôt la façon dont cette personne exécute cet art.

L’équipe a découvert que les bonobos maîtrisent ces deux formes de compositionnalité dans leurs vocalisations. Ces résultats contredisent la croyance selon laquelle ce principe linguistique complexe serait uniquement humain.

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Des combinaisons vocales étonnamment complexes

Après avoir analysé le répertoire vocal des bonobos, les chercheurs se sont concentrés sur leurs combinaisons de cris. Sur un total de 19 combinaisons étudiées, ils ont identifié quatre structures particulièrement intéressantes qui présentaient des caractéristiques de compositionnalité non triviale.

Pour mettre en évidence ces structures, les scientifiques ont utilisé des méthodes issues des sciences du langage, notamment la sémantique distributionnelle. Cette approche leur a permis d’établir une cartographie des cris dans un espace sémantique défini par leurs contextes d’utilisation. Les résultats révèlent que de nombreuses combinaisons vocales produites par les bonobos présentent les caractéristiques essentielles de la compositionnalité, certaines évoquant même des formes non triviales de composition linguistique humaine.

« Nous avons observé 38 combinaisons de deux cris ainsi que de nombreuses combinaisons de plus de deux cris », souligne Mélissa Berthet. Les chercheurs ont dû se limiter à l’étude de sept types de cris et de 19 combinaisons, ce qui laisse présager une communication des bonobos encore plus riche que ne le démontre cette étude.

Nouvel éclairage sur l’évolution du langage humain

Cette découverte offre un nouvel éclairage sur l’évolution du langage. Si les bonobos, dont l’ADN est identique à 98,7 % à celui des humains, possèdent cette capacité, cela suggère que la compositionnalité pourrait être apparue bien avant l’émergence de notre espèce.

« Puisque les humains et les bonobos avaient un ancêtre commun il y a environ 7 à 13 millions d’années, ils partagent de nombreux traits par descendance, et il semble que la compositionnalité en fasse partie », indique Martin Surbeck, professeur à Harvard. Cette capacité remonterait donc au dernier ancêtre commun des humains et des bonobos, bien avant l’apparition du langage humain tel que nous le connaissons.

Simon Townsend conclut : « Notre étude suggère donc que nos ancêtres utilisaient déjà largement la compositionnalité il y a au moins 7 millions d’années, voire plus ». Cette découverte nous invite à repenser les frontières entre communication animale et langage humain, révélant que cette distinction est sans doute moins nette qu’on ne le pensait.

Perspectives futures pour la recherche

La communication vocale des bonobos pourrait être encore plus complexe que ne le suggère cette étude. Les chercheurs n’ont pu étudier qu’une partie des combinaisons observées, et les bonobos utilisent également des gestes et des expressions faciales pour communiquer.

« De prochaines études pourraient intégrer ces signaux afin de voir comment le sens des cris et des combinaisons peut être modifié. Nous n’en sommes encore qu’aux débuts ! », conclut Mélissa Berthet, laissant entrevoir un domaine de recherche prometteur pour approfondir notre compréhension des origines évolutives du langage humain.

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