Pour environ 10 % à 15% de la population mondiale, le monde est organisé de manière légèrement différente. Les gauchers, c’est-à-dire ceux qui privilégient leur main gauche pour effectuer des tâches, sont depuis longtemps un sujet de curiosité. Aujourd’hui, une étude novatrice met en lumière les fondements génétiques de la gaucherie, révélant des liens fascinants avec la structure du cerveau et, potentiellement, des capacités verbales accrues.
Des recherches antérieures menées sur des jumeaux ont laissé entrevoir une influence génétique sur le fait d’être gaucher, mais cette nouvelle étude, menée par des chercheurs de l’Université d’Oxford et publiée dans la revue Brain, fait un pas de géant. Elle identifie des variantes génétiques spécifiques qui différencient les gauchers des droitiers.
Ces résultats pourraient déboucher sur une corrélation fascinante : la gaucherie et des compétences verbales supérieures. Akira Wiberg, l’un des chercheurs ayant participé à l’étude, souligne cette possibilité fascinante. “Notre étude soulève la perspective passionnante que les gauchers pourraient avoir un avantage dans les tâches verbales”, reconnaît-il dans un communiqué de presse. Mais le Dr Wiberg insiste également sur la prudence, notant que “ces différences ont été observées en tant que moyennes dans de grands groupes, et que les gauchers individuels varieront”.
D’autres études sont nécessaires pour confirmer cet avantage potentiel. La Dr Gwenaëlle Douaud, coautrice de l’étude, insiste sur ce point. “Nous devons évaluer si cette coordination accrue entre les zones du langage dans les hémisphères gauche et droit du cerveau des gauchers se traduit par un avantage concret en termes d’aptitudes verbales. Cela nécessite une étude avec des tests verbaux approfondis”, explique-t-elle.
La recherche, financée par le Medical Research Council du Royaume-Uni et Wellcome, une organisation caritative de recherche médicale, s’est appuyée sur un vaste ensemble de données. Les scientifiques ont analysé l’ADN de 400 000 personnes, dont plus de 38 000 gauchers, provenant de la UK Biobank, un trésor d’informations sur la santé provenant de volontaires de tout le pays.
Leur analyse a permis d’identifier quatre régions génétiques liées à la gaucherie. Il est intéressant de noter que trois de ces régions sont associées à des protéines qui influencent le développement et la structure du cerveau. Plus précisément, ces protéines avaient un impact sur les microtubules, un composant essentiel de l’échafaudage interne de la cellule, connu sous le nom de cytosquelette.
Le cytosquelette détermine la forme et la fonction d’une cellule dans l’organisme. Des recherches antérieures ont montré son rôle dans l’établissement de l’“asymétrie gauche-droite” chez diverses espèces animales. “De nombreuses créatures présentent une asymétrie gauche-droite au cours de leur développement”, explique le Dr Douaud, citant les coquilles d’escargot qui s’enroulent soit dans le sens gauche, soit dans le sens droit.
Les chercheurs ont ensuite analysé les scanners cérébraux d’environ 10 000 participants. Ils ont découvert que les variations génétiques liées à la gaucherie correspondaient à des différences dans les voies de la matière blanche du cerveau. Ces voies relient notamment les régions du cerveau responsables du traitement du langage.
En outre, la Dr Douaud révèle que l’étude suggère “une communication mieux coordonnée entre les hémisphères gauche et droit du cerveau chez les gauchers”. Elle explique que les gauchers présentent “un niveau de synchronisation plus élevé dans les oscillations naturelles de leur cerveau, même au repos”. Cette synchronisation, ajoute-t-elle, se produit “spécifiquement dans les zones du cerveau dédiées au langage”.
L’étude laisse également entrevoir un lien potentiel entre les aspects du développement cérébral associés à la main et le risque de développer la schizophrénie ou la maladie de Parkinson. Le Dr Dominic Furniss, un autre coauteur de l’étude, explique ce lien. “On sait depuis un certain temps que la prévalence de la gaucherie est légèrement plus élevée chez les personnes atteintes de schizophrénie que dans la population générale”, explique-t-il à CNN. “Inversement, il semble que la prévalence de la gaucherie soit légèrement inférieure chez les personnes atteintes de la maladie de Parkinson”.
Selon le Dr Furniss, ces nouvelles recherches “indiquent que ces affections, ainsi que le fait d’être gaucher, pourraient être le produit de différences fondamentales dans le développement du cerveau, en partie sous l’influence des gènes”. Cependant, les chercheurs soulignent que l’association observée entre le fait d’avoir une main et ces maladies suggère une corrélation, et non une causalité. En outre, les différences de prévalence sont très subtiles.
Cette étude novatrice ouvre des voies passionnantes pour la poursuite de la recherche, en révélant potentiellement des liens entre le fait d’avoir une main, les capacités verbales et même des maladies neurologiques. Au fur et à mesure que les scientifiques approfondissent leurs recherches, notre compréhension de ce trait humain fascinant continue d’évoluer.