Björn Andrésen est décédé à Stockholm. Le comédien suédois restera à jamais associé au rôle de Tadzio dans le film Mort à Venise de Luchino Visconti, sorti en 1971. Sa disparition a été confirmée par Kristina Lindström, coréalisatrice du documentaire L’Ange blond de Visconti qui lui était consacré et diffusé en 2021. Les causes de son décès sont attribuées à un cancer.
Le film qui a tout changé
Il avait seulement 15 ans lorsque Luchino Visconti l’a repéré pour incarner Tadzio dans Mort à Venise. Le réalisateur italien recherchait le plus beau garçon du monde après avoir écumé l’Europe pendant des mois. Il a trouvé en Andrésen l’éphèbe parfait pour adapter le roman de Thomas Mann publié en 1912. Dans le film, le jeune acteur incarne un adolescent dont la beauté obsède le compositeur Gustav von Aschenbach, joué par Dirk Bogarde.
Le film est devenu iconique dès sa présentation devant la reine Elizabeth II en mars 1971, puis lors du festival de Cannes. Visconti qualifie alors publiquement Andrésen de « plus beau garçon du monde », une étiquette qui le poursuivra toute sa vie. Ce surnom se transformera pourtant rapidement en un fardeau insurmontable.

Une enfance marquée par le drame
Né le 26 janvier 1955 à Stockholm, Björn Andrésen a grandi dans des conditions difficiles. Son père meurt dans un accident et sa mère se suicide alors qu’il n’a que 10 ans. Élevé par sa grand-mère, le jeune garçon rêve de devenir concertiste, car il est passionné de musique classique. C’est pourtant cette même grand-mère qui le pousse à passer des castings pour le mannequinat et le théâtre.
Lorsque Visconti le découvre, Andrésen est un adolescent traumatisé, réservé et timide. Le casting lui-même reste marquant, puisque le réalisateur lui demande de se mettre torse nu devant lui. Cette opportunité inespérée va complètement bouleverser ses années de formation et de deuil.
Le piège de la célébrité
Le tournage de Mort à Venise se déroule notamment dans l’opulente Hôtel des Bains, situé sur l’île du Lido, à Venise. Andrésen ne prononce quasiment pas un mot dans le film, mais devient l’objet d’une fascination esthétique et érotique. La caméra le suit comme une apparition androgyne, suivant les descriptions du romancier allemand Thomas Mann.
Le jeune comédien ne mesure pas complètement, lors du tournage, les implications de son engagement. L’ascendant de Visconti, alors âgé de 65 ans et auréolé de sa double carrière de cinéaste et de metteur en scène d’opéra, crée une bulle qui éclatera après la projection cannoise. Du jour au lendemain, il devient une célébrité projetée sur le devant de la scène.
Il racontera plus tard des expériences dérangeantes, notamment lorsque Visconti l’emmène dans un club gay alors qu’il n’a que 16 ans. Il se sentira comme un « animal exotique dans une cage ». Lors des avant-premières et des soirées, constamment entouré d’adultes, il évoquera l’impression de ne plus s’appartenir et d’être « entouré d’une nuée de chauves-souris ».
Une carrière qui ne décolle jamais
Contrairement à François Truffaut qui veillera sur Jean-Pierre Léaud après Les Quatre Cents Coups, Visconti ne se préoccupe pas de l’avenir d’Andrésen après Mort à Venise. Le réalisateur italien se lance rapidement dans d’autres projets, notamment Ludwig avec Helmut Berger.
Andrésen connaît pourtant un succès fulgurant au Japon, où il provoque de véritables émeutes lors d’un voyage. Il signe des contrats pour des publicités et enregistre des chansons. Son physique inspire notamment le dessin de l’héroïne du manga Lady Oscar de Riyoko Ikeda, diffusé en 1979 à la télévision japonaise, puis en France dans les années 1980.
Mais cette notoriété ne se transforme jamais en véritable carrière. À 22 ans, il tient le premier rôle dans Bluff Stop de Jonas Cornell, puis joue un ange dans L’Assassin candide de Hans Alfredson. Pourtant, on ne peut pas parler de carrière durable, ni comme acteur ni comme musicien.
La descente aux enfers
Björn Andrésen évoquera par la suite une existence chaotique, marquée par la dépendance à l’alcool et à l’héroïne. Il survit grâce à des admirateurs mécènes qui voient en lui l’archétype de l’idéal déchu. Sa personnalité bascule progressivement vers la paranoïa, l’homophobie et la misanthropie.
L’acteur développe une véritable aversion pour l’image gay associée au personnage de Tadzio. Il a le sentiment que ce rôle lui a volé sa virilité en construction. Interrogé par Libération en 2005, il confie se sentir « du genre neutre, entre deux ». Il déclare également devoir « se battre sans cesse pour se sentir un homme ».
Les journalistes du monde entier ne s’intéressent à lui qu’à travers le prisme de Tadzio. Il finit par exiger d’être rémunéré pour répondre aux questions pendant une heure. Sa colère contre Visconti ne cesse de croître avec le temps. Il qualifie le réalisateur de « prédateur culturel prêt à sacrifier n’importe quoi ou n’importe qui pour son travail ».
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Drames familiaux et isolement
Il a eu une fille, puis un fils qui est mort à l’âge de sept mois. Il vivait alors avec la poétesse Susanna Roman. Ce nouveau deuil le brise et marque le début de son isolement. Il commence alors à ne plus vouloir quitter son appartement et se clochardise progressivement.
Le documentaire L’Ange blond de Visconti, diffusé en 2021, révèle au grand public l’ampleur de sa déchéance. On y découvre un homme âgé et amer, vivant dans un appartement en désordre et sans ressources. Il raconte une biographie de malheurs qui glace le sang. Sa fille lui apporte de temps en temps de quoi se nourrir.
Kristina Lindström, qui a coréalisé ce documentaire avec Kristian Petri, a salué le courage d’Andrésen d’avoir accepté de raconter les difficultés de sa vie au grand public. Elle a confié avoir été « sous le choc » en apprenant son décès, même si elle savait qu’il était malade.
Un retour inattendu au cinéma
Le réalisateur américain Ari Aster a en effet l’idée de le caster dans son film Midsommar, sorti en 2019. L’acteur suédois y incarne Dan, un vieillard d’une secte qui se jette d’une falaise lors d’une cérémonie de sacrifice humain. Encore vivant après sa chute, son personnage est achevé d’un coup de maillet sur le visage.
Andrésen aurait déclaré que « se faire tuer dans un film d’horreur est le rêve de tout garçon ». Cette phrase fait froid dans le dos, compte tenu de son destin d’autodestruction et de deuils. Ce choix apparaît à la fois comme un hommage et comme une réflexion sur la destruction de la beauté.
Un destin sans consolation
Les vers du poète romantique allemand August von Platen, cités par Thomas Mann dans Mort à Venise, semblent avoir poursuivi Björn Andrésen toute sa vie. « Celui dont les yeux ont vu la beauté / À la mort dès lors est prédestiné. » Il est particulièrement douloureux aujourd’hui de revoir le film de Visconti à la lumière de ce destin tragique.
Dans le documentaire qui lui était consacré, Andrésen déclarera que « ce film a détruit ma vie ». Cette phrase résume une existence entière vécue comme un après-coup, une vie arrêtée au début de l’adolescence. Sa personnalité réelle a été remplacée par celle de son personnage, restée figée à jamais.
Le comédien a continué à travailler sporadiquement comme acteur et musicien jusqu’à la fin de sa vie. Il a notamment joué dans des productions suédoises pour le cinéma et la télévision, comme Gentlemen & Gangsters en 2016. Mais rien ne pourra jamais effacer le poids de ce rôle unique qui l’a propulsé vers la gloire tout en le détruisant.



