Porsche subit une perte trimestrielle de 1,1 milliard de dollars et s’enfonce dans la crise

Porsche a enregistré une perte d'exploitation de 967 millions d'euros au troisième trimestre, en raison de sa réorganisation stratégique, des droits de douane américains et de l'effondrement du marché chinois.

Par
Aurélien Ronto
Né au début des années 1990 dans la région parisienne, Aurélien Ronto est un journaliste spécialisé dans l'automobile qui a su transformer sa passion pour les...
13 Minutes de lecture
© Photo : Porsche

Il s’agit de la première perte trimestrielle de Porsche depuis son introduction en bourse en 2022. Ce résultat plonge le constructeur de Stuttgart dans une crise profonde qui secoue tout le secteur automobile allemand.

Les chiffres publiés vendredi dernier sont bien pires que prévu. Les analystes sondés par Visible Alpha tablaient sur une perte d’exploitation de 611 millions d’euros pour la période juillet-septembre, mais la réalité dépasse ces prévisions de plus de 350 millions. Vous assistez au premier échec financier majeur d’une marque qui incarnait jusqu’ici l’excellence industrielle allemande.

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Cette contre-performance marque un tournant brutal pour le constructeur de la 911, modèle emblématique de prestige. L’année dernière, à la même période, Porsche affichait encore un bénéfice d’exploitation de 974 millions d’euros. Le contraste est saisissant.

Un triple choc fragilise le modèle économique

Trois facteurs expliquent cette débâcle financière. Le constructeur doit en effet absorber des charges exceptionnelles liées au réaménagement complet de sa stratégie produit, estimées à 2,7 milliards d’euros sur les neuf premiers mois de l’année. Ces dépenses couvrent notamment l’abandon partiel des ambitions électriques et l’arrêt du programme de batteries maison Cellforce.

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Les droits de douane américains ont un impact considérable. Depuis le 1er août, les droits de douane de 15 % imposés par l’administration Trump grèvent les comptes de 700 millions d’euros sur l’ensemble de l’exercice. Porsche ne produit aucun véhicule aux États-Unis et doit donc tout importer depuis l’Europe. Le directeur financier, Jochen Breckner, a confirmé que les prix allaient augmenter aux États-Unis dans les prochains mois afin de répercuter ces coûts sur les clients.

Le marché chinois s’effondre. Autrefois moteur de croissance et machine à profits pour Porsche, la Chine est en proie à une guerre des prix acharnée qui lamine les ventes de voitures de luxe. Breckner a déclaré que les ventes devraient continuer à décliner jusqu’en 2026. « Nous devons admettre que les conditions générales du marché ne s’amélioreront pas dans un avenir proche », a-t-il averti lors de la présentation des résultats.

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Porsche subit une perte trimestrielle de 1,1 milliard de dollars et s'enfonce dans la crise
© Photo : Porsche

Le grand virage stratégique vers l’électrique

Porsche fait machine arrière sur sa feuille de route électrique. Le nouveau grand SUV, positionné au-dessus du Cayenne et initialement prévu en version 100 % électrique, sera finalement d’abord commercialisé avec des motorisations thermiques et hybrides rechargeables. La plateforme dédiée aux véhicules électriques, initialement prévue pour les années 2030, est repoussée et fera l’objet d’une refonte technologique en collaboration avec les autres marques du groupe Volkswagen.

Cette réorientation soudaine reflète les difficultés du marché. Les ventes de la Taycan ont chuté, malgré l’arrivée de sa version restylée. Même le nouveau Macan électrique, dont Porsche se dit pourtant satisfait, ne compense pas l’enthousiasme tiède des clients pour les modèles zéro émission.

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Le directeur financier assume cette volte-face. « Nous adaptons résolument nos décisions », a expliqué Jochen Breckner. « Nous acceptons consciemment des chiffres financiers temporairement plus faibles afin de renforcer la résilience et la rentabilité de Porsche à long terme. »

Pour 2026, Porsche vise un retour de sa marge bénéficiaire à un pourcentage élevé à un chiffre, contre un scénario optimal de 2 % pour l’année en cours. « Nous nous attendons à ce que 2025 soit le creux de la vague, avant une amélioration notable pour Porsche à partir de 2026 », a déclaré Breckner.

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Restructuration sociale et changement de direction

La situation pousse le constructeur à prendre des mesures drastiques. Porsche prévoit déjà de supprimer 1 900 postes dans les années à venir, en plus des 2 000 licenciements de travailleurs temporaires déjà effectués cette année. Un deuxième plan d’économies est attendu d’ici la fin de l’année.

Interrogé sur ce nouveau plan, Breckner a précisé que Porsche ciblerait des « mesures importantes » axées sur les niveaux de salaire et les avantages supplémentaires plutôt que sur de nouvelles suppressions d’emplois. Des négociations sont en cours avec les représentants du personnel dans le cadre d’un « Future Package ». « Nous devons discuter de solutions à grande échelle dans tous les domaines, y compris dans le cadre du Future Package », a insisté le directeur financier.

Ce changement de gouvernance accompagne cette tempête. Oliver Blume, qui cumulait les fonctions de patron de Porsche et du groupe Volkswagen depuis des années, cédera les rênes de Porsche à Michael Leiters au début de l’année 2026. Cet ancien dirigeant de Porsche, qui a ensuite dirigé McLaren Automotive, hérite de l’un des dossiers les plus complexes du secteur automobile européen.

Cette décision répond aux critiques persistantes des investisseurs concernant la double casquette de Blume. Leiters apporte une expertise précieuse dans le domaine des SUV, un segment crucial pour Porsche. Il a notamment travaillé sur le développement du Macan et du Cayenne, deux modèles qui représentent l’essentiel des volumes de vente.

Des perspectives 2025 dégradées, mais un cash-flow résilient

Sur les neuf premiers mois de l’année, le chiffre d’affaires du groupe s’établit à 26,86 milliards d’euros, en baisse de 6 % par rapport à 2024. Le bénéfice d’exploitation s’effondre à 40 millions d’euros, contre 4,035 milliards l’année précédente. La marge opérationnelle s’effondre à 0,2 %, loin des 14,1 % affichés l’an dernier.

Porsche a livré 212 509 véhicules à ses clients dans le monde durant cette période, soit une baisse de 6 % également. Le Macan affiche la plus forte progression, avec 64 783 exemplaires écoulés, en hausse de 18 %. La région Amérique du Nord affiche une hausse de 5 %, avec des records historiques aux États-Unis, qui deviennent le premier marché de la marque, devant la Chine.

La proportion de véhicules électrifiés atteint néanmoins 35,2 % des livraisons mondiales, dont 23,1 % de modèles entièrement électriques et 12,1 % d’hybrides rechargeables. En Europe, ce taux atteint même 56 %, preuve que la demande existe malgré tout sur certains marchés.

Point positif au milieu de cette situation difficile : le flux de trésorerie net automobile atteint 1,34 milliard d’euros, contre 1,24 milliard l’année précédente. La marge de trésorerie nette automobile s’élève à 5,6 %, contre 4,8 % en 2024. « Nous avons généré un flux de trésorerie solide dans un environnement de marché difficile », a souligné Breckner. Ces chiffres démontrent que les activités commerciales restent robustes malgré les turbulences.

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Un coût total de 3,1 milliards pour la réorganisation

Porsche prévoit un coût total de 3,1 milliards d’euros pour l’ensemble de l’exercice 2025, incluant la refonte stratégique et l’impact des droits de douane américains. Le constructeur maintient ses prévisions de chiffre d’affaires, qui devraient se situer entre 37 et 38 milliards d’euros pour l’ensemble de l’année.

Dans le bas de cette fourchette, le groupe prévoit une marge de retour sur ventes légèrement positive et une marge de trésorerie nette automobile de 3 %. Dans le haut de la fourchette, une marge de retour sur ventes de 2 % et une marge de trésorerie nette automobile de 5 % sont attendues. Concernant la prévision de marge de flux de trésorerie net, Porsche s’attend à des sorties d’environ 1,2 milliard d’euros sur l’ensemble de l’année, liées à la réorganisation stratégique et aux droits de douane américains.

L’action Porsche a dégringolé au point de sortir de l’indice DAX allemand, référence boursière du pays. Cette exclusion symbolise la perte de confiance des marchés financiers envers une marque autrefois considérée comme insubmersible. Les révisions à la baisse répétées des prévisions cette année ont érodé la crédibilité de la direction aux yeux des investisseurs.

Le dividende pour l’exercice 2025 sera fortement réduit par rapport aux 2,31 euros par action privilégiée versés pour l’exercice 2024, a prévenu Breckner. Cette décision pénalisera directement les actionnaires, dont la famille Porsche-Piëch, qui contrôle l’entreprise via la holding Porsche SE.

Un secteur automobile allemand sous pression

Porsche n’est pas le seul constructeur automobile allemand en difficulté. Sa maison mère, Volkswagen, traverse également une période difficile, avec des difficultés structurelles qui touchent l’ensemble de ses marques. La crise chinoise frappe tous les constructeurs premium allemands qui avaient fait de ce marché leur eldorado pendant des années.

Le contexte géopolitique complique la donne. Les droits de douane américains pèsent lourd sur les comptes des marques européennes qui n’ont pas d’usines aux États-Unis. Porsche étudie la possibilité d’assembler l’un de ses modèles aux États-Unis afin de contourner ce problème, mais aucune décision n’a encore été prise.

La transition énergétique s’avère plus lente et plus coûteuse que prévu. Les clients restent frileux face aux véhicules électriques, malgré les progrès technologiques et l’élargissement de l’offre. Les infrastructures de recharge sont insuffisantes dans de nombreux pays. Les valeurs résiduelles des véhicules électriques d’occasion s’effondrent, ce qui complique les schémas de financement traditionnels.

Porsche tente de naviguer entre plusieurs écueils. La marque doit en effet satisfaire des réglementations environnementales de plus en plus strictes, tout en répondant à une demande de la clientèle qui privilégie encore les motorisations thermiques et hybrides. Elle doit investir massivement dans les technologies de demain sans compromettre sa rentabilité actuelle. Elle doit maintenir son image de marque premium tout en augmentant ses volumes de production pour absorber les coûts fixes.

« Nous orientons Porsche vers une rentabilité forte et durable », explique Breckner. « Notre objectif est d’affiner notre marque et de rendre nos produits encore plus individuels, exclusifs et désirables. Pour ce faire, nous nous appuyons sur une base solide : une clientèle fidèle, un portefeuille de produits renouvelé et attrayant, et l’une des marques les plus emblématiques au monde. »

Les prochains trimestres seront décisifs pour Porsche. Le nouveau directeur général, Michael Leiters, devra rapidement redresser la barre dès sa prise de fonction début 2026. Le retour à la rentabilité nécessitera de trouver un équilibre délicat entre tradition et innovation, entre volume et exclusivité, entre compromis commerciaux et intégrité de la marque.

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