La rétrospective consacrée à Jacques-Louis David enflamme le Louvre

Le Louvre célèbre Jacques-Louis David avec une centaine d'œuvres majeures. Cette rétrospective révèle un artiste engagé qui a façonné l'imaginaire révolutionnaire et impérial, de Marat assassiné aux portraits de son époque, jusqu'à son exil à Bruxelles.

Par
Duc Tran
Duc TRAN
Éditeur en chef
Après s'être formé en langues (anglais et vietnamien) et en économie internationale, Duc TRAN pivote vers le journalisme, porté par sa passion pour l'écriture. C'est une...
11 Minutes de lecture
L'affiche du rétrospective Jacques-Louis David au Louvre - © Photo : Musée du Louvre

L’exposition Jacques-Louis David, qui ouvre ses portes au musée du Louvre, marque un tournant dans la compréhension de cet artiste majeur de la fin du XVIIIe siècle. Présentée du 15 octobre 2025 au 26 janvier 2026, cette rétrospective réunit une centaine d’œuvres retraçant le parcours d’un artiste ayant traversé six régimes politiques et façonné l’imaginaire collectif français.

Un monument de la peinture française

Né à Paris en 1748 et mort en exil à Bruxelles en 1825, Jacques-Louis David demeure une figure incontournable de l’art français. Le Louvre organise cette exposition à l’occasion du bicentenaire de sa disparition et propose une nouvelle lecture d’une œuvre longtemps figée dans l’étiquette réductrice de « néoclassique ». Cette manifestation exceptionnelle permet de découvrir un créateur bien plus complexe qu’on ne l’imagine, pétri de contradictions et animé par une énergie créatrice hors du commun.

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Le parcours chronologique débute par les années difficiles de l’apprentissage, lorsque David échoue quatre fois au prix de Rome entre 1770 et 1773. Ces échecs successifs le conduisent même à une tentative de suicide, avant qu’il n’obtienne enfin la récompense en 1774. Cette période sombre forge le caractère d’un homme qui ne cessera jamais de prouver sa valeur et son talent.

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Le Serment des Horaces – © Photo : Michel Urtado, Grand Palais RMN (Musée du Louvre)

La révolution d’un regard

L’exposition Jacques-Louis David met en lumière la force d’invention qui caractérise sa production picturale. Les visiteurs découvrent comment le peintre a puisé son inspiration dans l’Antiquité romaine lors de ses séjours en Italie, développant une esthétique épurée et rigoureuse qui rompt avec le style rococo de ses débuts. Le Serment des Horaces, présenté en 1785, est un véritable manifeste artistique qui propulse David au rang de « régénérateur de la peinture ».

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La salle du Jeu de Paume occupe une place centrale dans le parcours. Le fragment monumental de cette composition inachevée, prêté par le château de Versailles, témoigne de l’ambition démesurée du peintre qui souhaitait immortaliser l’événement fondateur de la Révolution française du 20 juin 1789. David a abandonné le tableau début 1792, rattrapé par l’accélération de l’histoire et les divisions entre révolutionnaires.

L’engagement politique au cœur de son œuvre

David ne se contente pas d’observer son époque ; il veut en être un acteur majeur. Élu député de Paris à la Convention nationale en 1792, il vote la mort de Louis XVI et se rapproche de Robespierre. De 1793 à 1794, pendant la Terreur, il occupe des fonctions éminentes : il est membre du Comité de sûreté générale, président du Club des Jacobins, puis président de la Convention nationale.

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Cette période trouve son expression artistique la plus aboutie dans Marat assassiné, une œuvre exceptionnelle prêtée par les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Présenté pour la première fois à Paris depuis de nombreuses années, le tableau fusionne peinture d’histoire, portrait et sujet contemporain avec une intensité saisissante. David organise également les funérailles des martyrs de la Révolution, concevant une véritable mise en scène du pouvoir révolutionnaire.

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Les Amours de Pâris et d’Hélène – © Photo : Adrien Didier Jean, Grand Palais RMN (Musée du Louvre)

Le portraitiste de son temps

Au-delà des grandes compositions historiques, l’exposition Jacques-Louis David révèle un portraitiste de premier plan. Les effigies de Madame Thélusson et de Madame d’Orvilliers, présentées dans le parcours, témoignent d’une recherche d’épure qui anticipe la modernité. David élimine tout accessoire superflu, refuse la flatterie et se concentre sur la singularité de ses modèles, qui se détachent sur des fonds neutres et vibrants.

Le portrait inachevé de Juliette Récamier, laissé en suspens après une brouille avec le modèle en 1800, illustre parfaitement cette élégance dans la simplicité. Ces œuvres traduisent une vision nouvelle de la représentation humaine, dépouillée et directe, qui rompt avec les codes de l’Ancien Régime.

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Bonaparte et l’Empire

Sa rencontre avec Bonaparte en 1797 marque un tournant dans sa carrière. Fasciné par le jeune général victorieux, il réalise le célèbre Bonaparte franchissant les Alpes, un redoutable outil de communication politique qui a permis de fixer l’image du futur empereur dans l’imaginaire collectif. Cette toile allie portrait, peinture d’histoire et actualité avec une efficacité remarquable.

Nommé premier peintre de l’Empereur, il immortalise la scénographie du pouvoir impérial dans Le Sacre, sa composition la plus ambitieuse, présentée dans la salle 702 du Louvre. Ses rapports avec Napoléon restent ambivalents, car le peintre se retrouve pour la première fois depuis 1784 confronté à la question de la liberté de l’artiste face au pouvoir.

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David, Les Sabines – © Photo : Mathieu Rabeau, Sylvie Chan-Lia, Grand Palais RMN (Musée du Louvre)

Les femmes au centre de l’histoire

Réalisé en 1799, Les Sabines propose une vision renouvelée de l’héroïsme après les années de violence révolutionnaire. David place les femmes au centre de la composition, non plus en tant que figures passives, mais en tant qu’actrices de l’histoire qui mettent fin aux combats fratricides entre Romains et Sabins. Ce tableau de la réconciliation nationale témoigne d’une évolution profonde dans la pensée de l’artiste, qui oppose désormais l’humanité au sacrifice aveugle.

L’exposition « Jacques-Louis David » présente également des portraits de femmes contemporaines, comme celui de Madame de Verninac, la sœur d’Eugène Delacroix. Ces œuvres révèlent l’attention que le peintre portait à la mode antique, dont il fut l’un des promoteurs au théâtre.

L’atelier et la transmission

David dirige l’un des plus grands ateliers de l’histoire de la peinture, avec celui de Rubens au XVIIe siècle. Il forme trois générations de peintres venus de toute l’Europe, qui domineront la scène artistique jusqu’au milieu du XIX^e siècle. Le parcours présente des œuvres de ses élèves en contrepoint des siennes, notamment celles d’Ingres, qui trahit les principes du maître.

Cet atelier, largement ouvert aux femmes, constitue une autre façon pour David de contester les règles de l’Académie. Dès le début, il revendique la liberté de l’artiste, en réaction au système académique qu’il juge sclérosé, et obtient la suppression des académies en août 1793.

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Marat assassiné – © Photo : J. Geleyn, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (Bruxelles)

L’exil bruxellois

Après la chute de l’Empire, en 1815, il refuse les propositions d’amnistie et s’installe à Bruxelles. À 68 ans, célébré comme « père de l’école française », il continue de produire et d’exposer ses toiles à Paris. Ses dernières œuvres mythologiques, grinçantes et sarcastiques, témoignent de la manière dont le réalisme caravagesque de ses débuts ronge peu à peu un idéal qui se dissout dans la société prosaïque des années 1820.

L’œuvre Mars désarmé par Vénus, prêtée par les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, témoigne de cette période où David confronte les sujets gracieux à la mode à un réalisme qui souligne l’artifice d’une mythologie vidée de son sens. Le peintre meurt le 29 décembre 1825 à Bruxelles, et la France refuse de rapatrier sa dépouille.

Une scénographie immersive

La scénographie signée Juan-Felipe Alarcon et le graphisme de Philippe Apeloig offrent un écrin contemporain aux œuvres. Le parcours chronologique permet de saisir la cohérence d’une vie morcelée par les historiens en fonction des régimes politiques successifs. Les reproductions et les détails des tableaux « dépoussièrent » l’image parfois figée attachée au peintre.

David est également un expérimentateur qui produit ce qu’on pourrait qualifier de première installation immersive de l’histoire de l’art. Il expose Les Sabines, Le Sacre et Mars et Vénus face à un grand miroir, de sorte que les visiteurs soient immergés dans la peinture.

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Étude d’après nature de la tête de Jean-Paul Marat assassiné – © Photo : Grand Palais RMN (Château de Versailles)

Programmation culturelle

L’exposition « Jacques-Louis David » s’accompagne d’une riche programmation à l’auditorium Michel-Laclotte. Des concerts classiques explorent la musique de l’époque révolutionnaire et impériale, avec des œuvres de Cherubini, Gluck, Gossec et Beethoven. Un festival de cinéma propose une relecture de la Révolution et de l’Empire à travers des films majeurs, tels que Barry Lyndon de Stanley Kubrick et Un peuple et son roi de Pierre Schoeller.

Le spectacle théâtral et musical La Lame et le Pinceau, conçu par Benjamin Lazar avec Judith Chemla et Arnaud Marzorati, emmène le public à la rencontre d’un artiste emprisonné après la chute de Robespierre. Cette création originale mêle lectures, chants et images pour retracer une nuit de Thermidor 1794, durant laquelle les peintures sortent du cadre et s’animent dans la mémoire du peintre.

Le musée du Louvre conserve la plus importante collection au monde de peintures et de dessins de Jacques-Louis David, ce qui en fait le seul établissement capable de relever le défi d’une telle rétrospective. La dernière grande monographie consacrée au peintre remontait à 1989, pour le bicentenaire de la Révolution. Cette nouvelle synthèse, à la lumière des recherches menées ces trente dernières années, offre une vision enrichie d’un parcours mêlant intimement l’artistique et le politique.

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