Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la réaction du Vatican à l’Holocauste a fait l’objet de controverses et de débats parmi les historiens et les chercheurs. Une lettre récemment exhumée des archives privées du pape Pie XII jette un nouvel éclairage sur la connaissance qu’avait le pape de l’Holocauste pendant les jours les plus sombres du régime nazi. Cette découverte relance le débat sur le rôle du Vatican et de Pie XII pendant cette sombre période de l’histoire de l’humanité.
La lettre, trouvée par l’archiviste du Vatican Giovanni Coco et évoquée dans un entretien avec Massimo Franco, a été envoyée par le jésuite allemand antinazi Lothar König au secrétaire privé du pape, Robert Leiber. Elle mentionne le four crématoire SS du camp de Bełzec, en Pologne occupée par les Allemands, et fait également référence à Auschwitz, bien qu’un autre rapport mentionné dans la lettre n’ait pas été retrouvé. Cette correspondance est une preuve cruciale du flux d’informations sur les crimes nazis parvenant au Saint-Siège pendant le génocide.
Auparavant, le Vatican avait pu considérer les camps comme de simples camps de concentration. Cependant, les informations fournies par König allaient au-delà, puisque la lettre décrit le “haut-fourneau” de Bełzec, près de Rava Rus’ka, où “jusqu’à 6 000 hommes, principalement des Polonais et des Juifs, meurent chaque jour.” La machine de mort est décrite dans toute son indicible horreur.
Le silence de Pie XII face aux crimes de masse perpétrés par le Troisième Reich a fait l’objet de vives discussions entre les détracteurs et les défenseurs du pape Eugenio Pacelli. Son procès en béatification, entamé en 1967, a été très controversé au sein même de l’Église catholique.
Le 2 mars 2020, des archives attendues depuis longtemps ont été ouvertes et tous les documents relatifs au pontificat de Pie XII, de 1939 à 1958, ont été rendus accessibles. L’accessibilité de ce vaste matériel a permis aux chercheurs d’intensifier leur travail pour clarifier le comportement du pape.
La recherche de Coco, incluse dans le volume “Le ‘Carte’ di Pio XII oltre il mito”, est une étape cruciale dans la reconstruction historiographique en cours. Une conférence internationale organisée à l’Université pontificale grégorienne de Rome du 9 au 11 octobre sera l’occasion de comparer différentes perspectives sur les nouveaux documents du pontificat de Pie XII et leur signification pour les relations judéo-chrétiennes.
Il est indéniable qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale, alors que le Vatican recevait des informations de plus en plus nombreuses et détaillées sur les atrocités nazies, Pie XII a choisi de garder le silence ou, tout au plus, d’exprimer sa tristesse en termes généraux. Un exemple notable est un bref passage du discours de Noël du pape Pacelli, le 24 décembre 1942, dans lequel il fait référence à “des centaines de milliers de personnes qui, sans aucune faute de leur part, parfois seulement en raison de leur nationalité ou de leur race, sont destinées à la mort ou à une détérioration progressive”.
On peut même émettre l’hypothèse que le pape a tenu ces propos à la suite des révélations que venait de faire König sur les camps nazis. Cependant, une condamnation explicite du Troisième Reich et de son régime n’a jamais été émise par le Saint-Siège, et Pie XII n’a jamais clairement identifié les Juifs comme victimes de l’extermination en cours. Son prédécesseur, Achille Ratti, Pie XI, avait été beaucoup plus ferme dans l’expression de son hostilité à l’égard de l’idéologie raciste et néo-païenne du régime hitlérien.
Peut-être le pape craignait-il qu’une prise de position claire n’aggrave la situation et ne rende plus difficile l’aide de l’Église aux persécutés pendant ces jours sombres. La situation s’est compliquée après l’occupation de Rome par les Allemands en septembre 1943. Plusieurs explications peuvent être trouvées à la prudence du Vatican : certes, la diplomatie du Saint-Siège était soucieuse de maintenir son “impartialité” à l’égard des belligérants. Le lourd héritage de l’aversion millénaire des chrétiens à l’égard des Juifs a peut-être aussi joué un rôle.
Cependant, avec les éléments supplémentaires fournis par Coco dans l’interview de Franco, il devient impossible de soutenir que Pie XII n’était pas suffisamment informé du traitement inhumain que les nazis réservaient à leurs victimes. Ce ne sont pas seulement des sources polonaises ou liées au camp luttant contre l’Allemagne, mais même un jésuite allemand qui a fourni au Vatican des preuves solides pour comprendre l’horreur qui se déroulait au cœur de l’Europe.
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