Olivier Rousteing quitte Balmain. L’annonce, faite le 5 novembre 2025 sur Instagram, met un terme à l’une des plus longues collaborations entre un créateur et une maison de luxe parisienne. Après quatorze années passées à la tête de la griffe fondée par Pierre Balmain en 1945, le directeur artistique tourne la page à l’âge de 39 ans. Cette nouvelle surprend le monde de la mode, qui ne s’attendait pas à un départ aussi soudain.
Le créateur bordelais était arrivé chez Balmain en 2009, initialement recruté comme responsable du studio par Christophe Decarnin. Deux ans plus tard, en avril 2011, il accédait au poste de directeur artistique, devenant ainsi le plus jeune designer non fondateur à diriger une grande maison parisienne depuis Yves Saint Laurent chez Dior. Une nomination historique à double titre, car Olivier Rousteing est également devenu le premier créateur noir à la tête d’une maison française historique.
« Je suis profondément fier de tout ce que j’ai accompli et infiniment reconnaissant envers mon équipe exceptionnelle chez Balmain, ma famille choisie, dans un lieu qui a été mon foyer pendant ces quatorze dernières années », a déclaré Olivier Rousteing dans le communiqué officiel. Le créateur remercie Rachid Mohamed Rachid, président-directeur général de Mayhoola, propriétaire de Balmain, ainsi que Matteo Sgarbossa, PDG de la maison, pour leur confiance indéfectible.
Une transformation financière spectaculaire
Le bilan financier de son passage chez Balmain est impressionnant. Lorsqu’il prend les rênes de la maison en 2011, les revenus s’élèvent à 30,4 millions d’euros, pour un bénéfice de 3,1 millions. Quatorze ans plus tard, le chiffre d’affaires atteint environ 300 millions d’euros, soit une multiplication par dix. Cette croissance fulgurante a attiré l’attention de Mayhoola, un fonds d’investissement qatari, qui a racheté l’intégralité de Balmain pour 500 millions d’euros en 2016.
La stratégie du créateur repose sur une approche inédite pour une maison de couture traditionnelle. Il comprend rapidement le pouvoir des réseaux sociaux et devient un pionnier dans leur utilisation. Avec 9,7 millions d’abonnés sur Instagram, il a créé ce qu’il a nommé la « Balmain Army », une communauté engagée qui participe activement au rayonnement de la marque. Cette proximité avec le public transforme profondément l’image de Balmain.
Des collaborations qui marquent l’histoire
Les partenariats orchestrés par Olivier Rousteing ont propulsé Balmain sur la scène internationale. La collaboration avec H&M en 2015 reste un moment phare de sa carrière. La collection se vend à 99 % et provoque des scènes inédites : en novembre, plus de 500 personnes campent devant le magasin londonien de Regent Street, tandis qu’à Paris, les pièces s’écoulent en trois heures.
Le créateur entretient des relations privilégiées avec des stars de premier plan. Rihanna, Kim Kardashian et Gigi Hadid deviennent des ambassadrices naturelles de la marque. Sa rencontre avec Kim Kardashian au Met Gala 2013 marque un tournant dans sa carrière. Il dessine pour elle une robe couverte de perles pour sa soirée d’enterrement de vie de jeune fille, qui marque le début d’une amitié durable.
Beyoncé Knowles-Carter rejoint également le cercle des proches du créateur. Ensemble, ils créent une ligne spéciale qui coïncide avec la sortie de l’album Renaissance de la chanteuse. Ces collaborations avec la pop culture permettent à Olivier Rousteing de faire sortir Balmain de son statut de label parisien confidentiel pour en faire une marque mondialement reconnue.
Des défilés qui démocratisent la mode
Il bouleverse les codes des présentations de mode parisiennes. Le créateur ouvre ses défilés au grand public, une démarche rare dans le milieu fermé de la haute couture. Le Balmain Festival de 2019 illustre cette volonté d’accessibilité : plus de 2 000 invités se sont rendus au Jardin des Plantes pour assister à un spectacle alliant musique live et présentation de collections masculines.
L’événement Balmain sur Seine, en 2020, préfigure les cérémonies des Jeux olympiques de Paris 2024. Une barge descend la Seine, chargée d’athlètes et de la chanteuse Yseult, créant ainsi un spectacle populaire et démocratique. Cette vision d’une mode inclusive et festive devient la marque de fabrique du créateur.
Un parcours personnel assumé
Au-delà de ses créations, Olivier Rousteing se distingue par sa transparence concernant son histoire personnelle. Adopté à l’âge d’un an et élevé par des parents blancs à Bordeaux, il raconte son histoire dans le documentaire « Wonder Boy » en 2019. Le film le suit dans sa quête pour retrouver ses parents biologiques et met en lumière les difficultés liées au système français d’accouchement sous X.
En 2020, une explosion de cheminée dans son domicile parisien lui inflige de graves brûlures. Un an après l’accident, il partage un selfie sur lequel son visage et son torse sont bandés, témoignant publiquement de son processus de guérison. Ces épreuves se reflètent dans les collections suivantes, qui gagnent en profondeur émotionnelle.
Suivez toute l’actualité d’Essential Homme sur Google Actualités, sur notre chaîne WhatsApp, ou recevoir directement dans votre boîte mail avec Feeder.
Ces articles peuvent également vous intéresser
Une diversité revendiquée
La question de la représentation traverse toute la carrière d’Olivier Rousteing chez Balmain. Dès ses premières collections, il impose une grande diversité dans ses castings et accompagne ses défilés de musique hip-hop, un choix qui suscite des interrogations dans le milieu. Rihanna lui dit en coulisses après un défilé : « Tu changes les règles de ce monde de la mode. »
Cette approche place la diversité et l’inclusivité au cœur de l’industrie de la mode. Olivier Rousteing fait de Balmain un espace où les questions de représentation ne sont plus périphériques, mais centrales. Son authenticité et son engagement inspirent toute une génération, comme le souligne Rachid Mohamed Rachid dans son communiqué de départ.
Un héritage solide
Sous sa direction, Balmain diversifie considérablement ses activités. En 2019, le créateur réintroduit la haute couture au calendrier en tant que designer invité. Il lance également une ligne de beauté et de parfums sous licence avec Estée Lauder en 2023. Les accessoires deviennent une catégorie significative de l’activité de la maison.
Les collaborations s’étendent au-delà de la mode pure. Barbie, Disney, Porsche, Evian, Netflix et Johnnie Walker figurent parmi les partenaires qui permettent à la marque d’élargir son territoire. Le créateur refuse les frontières traditionnelles et transforme la griffe en une plateforme culturelle globale.
La maison compte aujourd’hui 50 boutiques dans le monde, dont 11 shops-in-shop. Sa distribution géographique témoigne d’une présence équilibrée : 15 points de vente en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique, 18 en Asie-Pacifique et 17 aux États-Unis, qui est le premier marché de la marque.
Un dernier défilé symbolique
Le défilé du 1er octobre 2025, qui se tient dans la salle de bal de l’hôtel Intercontinental, revêt une dimension particulière. Olivier Rousteing y présente sa collection, dans le lieu même où il avait fait ses débuts en tant que directeur artistique, en 2011. « J’étais si effrayé et si timide », confie-t-il en évoquant cette première présentation.
À cette occasion, le créateur déclare : « Cette saison, tout le monde parle d’une nouvelle ère et de nouveaux commencements, mais je crois que vous pouvez construire votre nouvelle ère et faire votre nouveau départ en restant vous-même, dans la même maison, en vous mettant au défi. » Des mots qui prennent aujourd’hui une résonance particulière.
Une succession à venir
Balmain annonce qu’une nouvelle organisation créative sera révélée en temps voulu, sans toutefois préciser de calendrier ni de noms. La question se pose de savoir si la maison choisira un créateur confirmé ou optera pour un pari risqué, à l’image de celui fait avec Olivier Rousteing en 2011.
Matteo Sgarbossa, arrivé à la tête de Balmain en 2024 après avoir travaillé chez Mango, Gucci et Givenchy, exprime sa « profonde gratitude » envers le designer. « La contribution et la passion d’Olivier au cours des dernières années laisseront une empreinte indélébile dans l’histoire de la mode », déclare le PDG.
Rachid Mohamed Rachid souligne que « le leadership visionnaire d’Olivier a non seulement redéfini les frontières de la mode, mais a également inspiré une génération grâce à sa créativité audacieuse, à son authenticité inébranlable et à son engagement en faveur de l’inclusivité ». La direction de Mayhoola se dit fière de tout ce qui a été accompli sous sa direction.
Un nouveau chapitre s’ouvre
Olivier Rousteing ne dévoile pas ses projets futurs dans son communiqué. « Alors que je me tourne vers l’avenir et le prochain chapitre de mon parcours créatif, je garderai toujours précieusement en mémoire ce temps privilégié », écrit-il. Sur Instagram, il évoque « une nouvelle ère, un nouveau départ, une nouvelle histoire », les yeux grands ouverts sur l’avenir.
Âgé de 40 ans, le créateur possède une expérience et une notoriété qui ouvrent de nombreuses possibilités. Sa maîtrise des réseaux sociaux, ses relations dans l’industrie du divertissement et son sens du spectacle sont des atouts majeurs pour ses prochains projets.
Karl Lagerfeld, qui avait débuté sa carrière comme assistant de Pierre Balmain, avait un jour évoqué Olivier Rousteing comme possible successeur chez Chanel. Cette marque de confiance d’une légende de la mode témoigne de la stature acquise par le créateur bordelais.
Un contexte de transformation
Le départ d’Olivier Rousteing intervient dans un contexte de bouleversements de l’industrie de la mode. Les maisons de couture historiques cherchent à trouver un équilibre entre héritage et modernité, tradition et innovation. La longévité d’un créateur dans une même maison devient de plus en plus rare.
« On ne leur laisse pas le temps de s’exprimer, et c’est dommage », déplorait-il dans une interview au journal Le Monde en 2024. « On est encensé un jour, oublié le lendemain. Il n’y a plus la bienveillance d’autrefois envers les couturiers que je vois dans les livres d’histoire de la mode », expliquait-il alors.
Sa propre trajectoire contredit toutefois en partie ce constat. Quatorze années à la tête d’une maison parisienne constituent une durée exceptionnelle dans le paysage contemporain. Cette stabilité lui a permis de construire une vision cohérente et de la déployer dans la durée.
Txampi Diz, qui a travaillé comme attaché de presse externe de Balmain via KCD, puis est devenu directeur marketing de la maison, a accompagné de près cette aventure. Plusieurs jeunes créateurs, comme Ludovic de Saint Sernin, ont fait leurs armes dans l’atelier Balmain avant de lancer leur propre label, perpétuant ainsi l’héritage de la maison.
Olivier Rousteing a également été invité à créer la collection haute couture automne-hiver 2022 de Jean Paul Gaultier, une reconnaissance de ses pairs qui confirme son talent. Alain Hivelin, qui avait sauvé Balmain de la faillite avant de parier sur le jeune créateur, n’a pas pu voir l’ampleur de sa réussite, puisqu’il est décédé en 2014. « Je serai éternellement reconnaissant envers Alain Hivelin pour sa vision, son soutien et son amitié », avait déclaré Olivier Rousteing après sa disparition.
