Le portrait de Dora Maar revient enfin sous le feu des projecteurs. Ce chef-d’œuvre, intitulé « Buste de femme au chapeau à fleurs », est resté secret pendant plus de huit décennies et sera mis aux enchères à l’Hôtel Drouot le 24 octobre 2025, avec une estimation de 8 millions d’euros.
Peinte le 11 juillet 1943, cette toile illustre la série emblématique des Femmes au chapeau. Conservé dans la même famille depuis 1944, il n’avait été aperçu que par une photographie de Brassaï prise dans l’atelier des Grands-Augustins et par sa reproduction en noir et blanc dans le catalogue raisonné de Christian Zervos.
Un contexte de guerre et de résistance artistique
Paris est alors sous l’Occupation allemande. L’art de Picasso, jugé « dégénéré » par l’occupant nazi, expose l’artiste à des perquisitions, des menaces et à l’interdiction d’exposer. Malgré cette oppression, le peintre continue de créer avec une intensité remarquable.
Le « Buste de femme au chapeau à fleurs » témoigne de cette résistance intérieure. La composition fragmentée, construite en aplats de couleurs franches juxtaposés sans modelé ni perspective, répond au motif lumineux du chapeau orné de marguerites stylisées sur fond rouge.
L’angoisse transparaît dans le regard du modèle, qui semble au bord des larmes. Cette expression fait écho à la célèbre série des Femmes qui pleurent, ainsi qu’à une relation amoureuse qui s’achève, Picasso ayant rencontré Françoise Gilot quelques mois auparavant.

Dora Maar, photographe et muse tragique
Reconnue comme photographe, militante et artiste accomplie, elle accompagne Picasso depuis 1936. Elle apparaît ici comme une figure tragique, miroir de l’époque et de leur relation devenue orageuse.
Son attribut fétiche, le chapeau, figure une couronne toujours éclatante qui contraste avec la fragmentation du visage. Selon le biographe John Richardson, Picasso la représentait alors « comme une victime sacrificielle, le symbole en larmes de sa propre douleur face aux horreurs de la tyrannie et de la guerre ».
Cette photographe surréaliste et intellectuelle a marqué la première moitié du XXe siècle par son travail engagé. Sa rencontre avec Picasso, à l’hiver 1935-1936, transforme sa vie et son art.
Une obsession formelle de l’artiste
Christian Zervos recense 28 portraits de femmes au chapeau peints par Picasso en 1943, révélant ainsi une véritable obsession formelle. Le « Buste de femme au chapeau à fleurs » est l’une des incarnations les plus intenses de cette série.
Les aplats de couleurs franches, associés à une fragmentation radicale des traits, forment une composition frontale animée de tensions internes. Cette approche témoigne de l’évolution stylistique de l’artiste, entre cubisme et surréalisme.
« Cette toile constitue un jalon de son parcours et un témoignage rare de son génie en temps de guerre », confirme l’expert Christophe Lucien. La palette colorée détonne par rapport aux œuvres plus sombres de cette période troublée.
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Une redécouverte majeure pour le marché de l’art
La mise en vente de cette œuvre est un événement majeur pour le marché de l’art et pour l’histoire de l’art. Elle révèle enfin les couleurs flamboyantes d’un portrait resté secret pendant plus de huit décennies.
Agnès Sevestre-Barbé, l’experte en charge de l’authentification, souligne le caractère exceptionnel de cette découverte. La toile était restée « inconnue du public et jamais exposée, hormis dans l’atelier de Picasso pour quelques amis ».
L’estimation de 8 millions d’euros pourrait être dépassée lors de la vente. Cette somme reflète la rareté et l’importance historique de cette œuvre, l’une des redécouvertes les plus significatives de l’art de Picasso.
Les dernières années de Dora Maar
Après sa rupture avec Picasso en 1945, Dora Maar partage sa vie entre Paris et Ménerbes, dans le Luberon. Le délitement de leur relation, suivi du décès de sa mère puis de son amie intime Nush Eluard, l’entraîne dans une grave dépression.
La religion catholique lui apporte un apaisement durable. Sur le plan artistique, elle se tourne vers le paysage et une abstraction gestuelle dans les années 1950.
Bien qu’elle continue de créer, elle expose de moins en moins. La disparition de Dora Maar, en 1997, marque la fin d’une existence marquée par la création et la souffrance.
Le public pourra découvrir cette œuvre exceptionnelle lors des expositions publiques qui se tiendront à Drouot du 21 au 23 octobre 2025. La vente aux enchères aura lieu le 24 octobre à 17 heures, en salle 9.
Cette huile sur toile de 81 x 60 cm, signée en haut à gauche et datée au dos, porte l’annotation « CH 44 » au crayon sur le châssis. Ces détails techniques en attestent l’authenticité et la provenance.