Les papillons Bogong d’Australie utilisent les étoiles pour parcourir une distance de 1 000 kilomètres

Les papillons Bogong d'Australie sont les premiers de leur espèce à avoir été observés en train d'utiliser les étoiles pour se diriger sur de longues distances, malgré leur cerveau minuscule.

Par
Olivier Delavande
Fils d’un père français et d’une mère vietnamienne, Olivier Delavande a baigné dans une double culture qui a façonné sa curiosité et son ouverture d’esprit dès...
10 Minutes de lecture
© Photo : Ajay Narendra

Les papillons Bogong d’Australie viennent de révéler l’un des secrets les mieux gardés de la nature australienne. Ces petits insectes nocturnes accomplissent un exploit que seuls les humains et certains oiseaux migrateurs étaient jusqu’à présent capables de réaliser : naviguer sur de longues distances en utilisant les étoiles comme boussole.

Originaires d’Australie, ces papillons de nuit mesurent à peine 2,5 cm et ont une envergure d’environ 5 cm. Leur apparence est des plus banales. « C’est un petit papillon brun très quelconque, que les gens ne distingueraient pas forcément d’un autre petit papillon brun », explique Éric Warrant, professeur de zoologie à l’université de Lund, en Suède, et auteur principal de cette recherche inédite publiée dans la prestigieuse revue Nature.

- Publicité -

Un voyage épique de 1 000 kilomètres !

Chaque printemps, des milliards de papillons Bogong quittent les plaines du sud-est de l’Australie pour un périple nocturne de 1 000 kilomètres. Leur destination ? Les grottes fraîches des Alpes australiennes, où ils passeront l’été dans un état de dormance, avant de repartir vers leurs lieux de reproduction à l’automne.

Ce voyage représente un défi colossal pour un animal doté d’un cerveau minuscule et d’un système nerveux rudimentaire. Pourtant, ces créatures accomplissent cette migration avec une précision remarquable, sans jamais s’être entraînées auparavant.

- Publicité -

« Leurs parents sont morts depuis trois mois, donc personne ne leur a montré où aller », souligne Éric Warrant. « Ils émergent simplement du sol au printemps dans une région éloignée du sud-est de l’Australie et savent tout simplement où aller. C’est totalement incroyable. »

Les papillons Bogong d'Australie utilisent les étoiles pour parcourir une distance de 1 000 kilomètres
a) Un papillon Bogong mâle. Échelle : 5 mm. Photo : A. Narendra, d’après la référence 2. b) Au printemps, les papillons adultes migrent depuis leurs lieux de reproduction, situés dans diverses régions du sud-est de l’Australie, vers les Alpes australiennes (flèches vertes), où ils estivent dans des grottes alpines fraîches pendant l’été, avant de retourner vers leurs lieux de reproduction à l’automne (flèches violettes). Dans les zones de reproduction, ils s’accouplent, pondent leurs œufs et meurent. Les stades immatures se développent sous terre pendant l’hiver. Le point rouge indique le site expérimental d’Adaminaby. c) Environ 16 000 papillons par m² estivent sur les parois de grottes spécifiques dans les Alpes australiennes pendant une période pouvant aller jusqu’à quatre mois, avant d’entreprendre leur migration de retour. Encart : image rapprochée des papillons. – © Photo : Nature

Une découverte scientifique majeure

L’équipe de recherche dirigée par Éric Warrant a mis au point une méthode ingénieuse pour percer ce mystère. Les scientifiques ont capturé des papillons sauvages qu’ils ont placés dans un simulateur de vol cylindrique. Fixés sur une fine tige de tungstène, les insectes pouvaient battre des ailes et tourner librement tout en restant suspendus.

- Publicité -

« Il peut tourner librement », explique David Dreyer, chercheur à l’université de Lund et coauteur de l’étude. « Il peut choisir n’importe quelle direction vers laquelle il veut voler. »

Au sommet du simulateur, les chercheurs ont projeté une image du ciel nocturne austral. Pour éliminer l’influence du champ magnétique terrestre, ils ont créé un « vide magnétique » grâce à une bobine de Helmholtz.

- Publicité -

Les étoiles servaient de boussole naturelle

Les résultats ont dépassé toutes les espérances. Papillon après papillon, les insectes ont volé dans la direction migratoire qui leur était propre, en se fiant uniquement aux indices visuels du ciel étoilé.

« Ce que nous avons découvert, c’est qu’un animal très petit, comme un papillon, avec un système nerveux et un cerveau très petits, ainsi que de très petits yeux, est capable d’interpréter le ciel étoilé et de déterminer une direction de vol », révèle Éric Warrant.

- Publicité -

Cette capacité place les papillons Bogong dans une catégorie très exclusive. « Le papillon Bogong est, à notre connaissance, le premier insecte dont on a démontré la capacité à naviguer en utilisant les étoiles », précise Andrea Adden, chercheuse postdoctorante au Francis Crick Institute de Londres.

Un système de navigation particulièrement sophistiqué

Les recherches ont montré que ces papillons utilisent un système de navigation redondant particulièrement sophistiqué. Outre la navigation stellaire, ils sont également capables de détecter le champ magnétique terrestre, ce qui leur offre un système de secours en cas de ciel nuageux ou d’anomalie magnétique.

« Avec un très petit cerveau et un très petit système nerveux, les papillons sont capables d’exploiter deux indices relativement complexes, non seulement de les détecter, mais aussi de les utiliser pour déterminer leur direction », ajoute Éric Warrant.

Cette double capacité représente un avantage évolutif considérable. Ils peuvent maintenir leur cap même si l’un des deux systèmes devient temporairement inutilisable.

Suivez toute l’actualité d’Essential Homme sur Google Actualités, sur notre chaîne WhatsApp, ou recevoir directement dans votre boîte mail avec Feeder.

Une vision nocturne exceptionnelle

La capacité des papillons Bogong à naviguer grâce aux étoiles s’explique par leurs capacités visuelles exceptionnelles. Bien que leurs pupilles soient dix fois plus petites que les nôtres, l’optique de leurs yeux leur permet de voir le monde nocturne environ 15 fois plus clairement.

« Ils voient probablement la Voie lactée beaucoup plus distinctement et brillamment que nous », explique Éric Warrant. Cette vision améliorée leur permet d’utiliser la Voie lactée comme boussole visuelle pour maintenir leur direction.

Des expériences neurobiologiques révélatrices

Pour comprendre le mécanisme neurologique de cette navigation, les chercheurs ont mené des expériences plus poussées. Ils ont inséré de minuscules électrodes dans le cerveau des papillons afin de mesurer l’activité électrique des neurones lors de la projection du ciel étoilé.

Les résultats ont confirmé leurs hypothèses : l’activité électrique augmentait significativement lorsque des angles spécifiques du ciel étaient présentés aux papillons. Cette réaction disparaissait complètement lorsque les chercheurs projetaient un motif de ciel aléatoire et brisé.

« Les animaux étaient totalement désorientés », rapporte David Dreyer. « C’était, pour nous, la preuve finale qu’ils utilisent effectivement les étoiles pour se repérer. »

Une espèce menacée

Malgré leurs capacités extraordinaires, les papillons Bogong sont confrontés à de grands défis environnementaux. Leur population a dramatiquement chuté ces dernières années et l’espèce figure désormais sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature.

« La population de papillons a diminué de façon spectaculaire ces dernières années, surtout en raison de la sécheresse et des incendies de brousse qu’a connus l’Australie en 2020 », explique Andrea Adden.

Cette découverte pourrait contribuer à la protection de l’espèce. Comprendre leur dépendance à la navigation visuelle permet en effet aux scientifiques d’évaluer plus précisément l’impact de la pollution lumineuse sur leurs migrations.

Implications pour la recherche future

Cette recherche ouvre de nouvelles perspectives pour comprendre les mécanismes de navigation chez les invertébrés. Ken Lohmann, professeur de biologie à l’université de Caroline du Nord, qui n’a pas participé à l’étude, salue la qualité du travail.

« L’une des choses vraiment remarquables, c’est la façon dont les papillons semblent capables de maintenir ce cap sur une longue période et sur des distances énormes, avec un cerveau relativement petit », observe-t-il. « Cela met simplement en évidence l’ingéniosité de la sélection naturelle. »

Cette découverte soulève également de nombreuses questions sur les mécanismes précis de détection et d’utilisation des informations stellaires, ainsi que sur l’intégration des boussoles stellaire et magnétique.

Une prouesse évolutive unique !

Les papillons Bogong rejoignent ainsi un groupe très restreint d’animaux capables de navigation stellaire. Contrairement aux monarques d’Amérique du Nord qui utilisent le soleil comme boussole diurne ou aux bousiers qui utilisent la Voie lactée pour parcourir de courtes distances, les Bogong accomplissent une véritable navigation vers une destination spécifique sur de très longues distances.

« C’est un acte de véritable navigation », affirme Éric Warrant. « Ils sont capables d’utiliser les étoiles comme une boussole pour trouver une direction géographique spécifique et naviguer, ce qui est une première pour les invertébrés. »

Cette capacité innée, transmise génétiquement, témoigne de millions d’années d’évolution et de perfectionnement. Les papillons Bogong prouvent ainsi que la complexité comportementale n’est pas nécessairement liée à la taille du cerveau, mais plutôt à l’efficacité des circuits neurologiques développés par la sélection naturelle.

- Publicité -
Partager cet article