L’atmosphère terrestre est ornée d’une tapisserie tourbillonnante de nuages, certains blancs et gonflés, d’autres transparents et vaporeux. Ces formations célestes jouent un rôle complexe et souvent contradictoire dans la régulation du climat de notre planète, agissant à la fois comme des boucliers solaires et des pièges à chaleur. Pour percer ce mystère, une mission révolutionnaire est sur le point d’entamer un voyage sans précédent : le satellite EarthCARE.
Développé dans le cadre d’une collaboration entre l’Agence spatiale européenne (ESA) et l’Agence japonaise d’exploration aérospatiale (JAXA), EarthCARE a été lancé de la base de Vandenberg, en Californie, dans la nuit du 28 au 29 mai 2024. Cette merveille construite par Airbus, d’un poids impressionnant de 2,2 tonnes, observera méticuleusement les nuages depuis son haut perchoir situé à 400 kilomètres au-dessus de la Terre.
“Les nuages jouent un rôle majeur dans le changement climatique, mais c’est l’un des aspects les moins bien compris”, explique Dominique Gilliéron, responsable des projets d’observation de la Terre à l’ESA. Leur impact dépend à la fois de leur type et de leur hauteur. Les cumulus, par exemple, composés de vapeur d’eau à basse altitude, ressemblent à des parapluies blancs géants qui réfléchissent la lumière du soleil dans l’espace et ont un effet refroidissant. A l’inverse, les cirrus de haute altitude, constitués de cristaux de glace, laissent passer le rayonnement solaire et contribuent au réchauffement de la planète.
Comme le souligne Gilliéron, “les cirrus piègent le rayonnement thermique émis par la Terre, agissant comme une couverture de survie”. Cette capacité à moduler la chaleur souligne la nécessité de cartographier avec précision la structure verticale des nuages, ce qu’aucun satellite n’a encore réussi à faire. Équipé d’une série d’instruments révolutionnaires, EarthCARE vise à combler ce manque de connaissances.
Le satellite comporte deux instruments “actifs” qui envoient des impulsions lumineuses dans les nuages et mesurent le temps qu’il faut pour qu’elles reviennent. Les variations de ce temps révèlent la profondeur de la couche nuageuse, selon que la lumière provient de la base ou du sommet du nuage.
Le lidar embarqué, qui utilise la lumière ultraviolette, pénètre dans les secrets des nuages épars de haute altitude, en examinant la présence d’aérosols – de minuscules particules telles que la poussière, le pollen et même des polluants d’origine humaine – qui constituent les éléments de base de la formation des nuages. Son partenaire, le radar, a la remarquable capacité de “voir à travers” les couches opaques de nuages et de disséquer méticuleusement leur composition en gouttelettes d’eau. Comme un radar routier, il ajuste sa fréquence pour mesurer la vitesse de déplacement des nuages dans l’atmosphère.
Un imageur multispectral capture méticuleusement les formes des nuages, tandis qu’un radiomètre sonde leurs températures internes. Cette suite complète permettra de mesurer simultanément tous les paramètres clés des nuages, une première scientifique.
Selon l’ESA, la communauté scientifique attend avec impatience cette mine de données. Elles serviront à “recalibrer” les modèles climatiques, ce qui permettra d’évaluer plus précisément le bilan radiatif de la Terre, c’est-à-dire l’équilibre délicat entre le rayonnement solaire entrant et le rayonnement planétaire sortant.
La compréhension de cet équilibre est cruciale pour prédire “si l’effet de refroidissement net actuel des nuages – où l’effet parasol l’emporte sur l’effet couverture – va s’intensifier ou diminuer”, explique Dominique Gilliéron. Cette prévision est d’autant plus compliquée que la répartition des nuages évolue constamment en raison du réchauffement climatique. “Le lancement d’EarthCARE est encore plus important aujourd’hui que lorsqu’il a été envisagé pour la première fois en 2004”, déclare Simonetta Cheli, Directrice des programmes d’observation de la Terre à l’ESA. Cette mission européenne pionnière, d’une durée de vie prévue de trois ans, prend le relais des satellites révolutionnaires CloudSat et CALIPSO de la NASA et ouvre une nouvelle ère d’observation des nuages.