« Depeche Mode : M » : un film bouleversant sur la perte, la mémoire et la renaissance du groupe

Un hommage vibrant où la musique devient mémoire - et la scène, un espace pour affronter l’absence.

Par
Olivier Delavande
Fils d’un père français et d’une mère vietnamienne, Olivier Delavande a baigné dans une double culture qui a façonné sa curiosité et son ouverture d’esprit dès...
13 Minutes de lecture
L'affiche du film « Depeche Mode : M » - © Depeche Mode

La sortie de Depeche Mode : M, réalisé par Fernando Frías, transforme la tournée Memento Mori en un voyage cinématographique puissant. Entre hommage à Andy Fletcher, symbolisme mexicain et expérimentations visuelles, le film révèle un duo Gahan – Gore confronté à la perte mais porté par une créativité intacte. Une œuvre qui dépasse la simple captation de concert pour interroger la mémoire, la présence et ce que signifie continuer.

Un groupe réinventé après la disparition de Fletcher

Fletcher disparaît à l’âge de 60 ans, victime d’une dissection aortique. Dave Gahan et Martin Gore se retrouvent alors seuls, contraints de repenser leur équilibre. Le claviériste était le ciment social entre l’introversion perfectionniste de Gore et l’énergie volcanique du chanteur. Sa mort change la donne sans modifier les notes : l’album existe déjà, mais sa densité émotionnelle bascule.

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Gore connaissait Fletcher depuis l’âge de 11 ans. Gahan avoue que la disparition de son ami reste irréelle. Les deux musiciens doivent apprendre à communiquer autrement, à se rapprocher par nécessité. Aucun remplaçant n’est envisagé. Lors des funérailles, la question se pose : faut-il arrêter ou continuer ? Gahan songe un instant à tout abandonner, puis se ravise par fidélité.

La tournée démarre en mars 2023 à Sacramento. Sur scène, l’emplacement de Fletcher reste vide, comme un membre fantôme d’un triangle devenu ligne. La scénographie sobre d’Anton Corbijn se compose d’un M géant minimal. Gahan danse, Gore ancre la formation, tandis que Peter Gordeno et Christian Eigner assurent l’ossature rythmique.

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« Depeche Mode : M » : un film bouleversant sur la perte, la mémoire et la renaissance du groupe
Une scène extraite du film « Depeche Mode : M » – © Depeche Mode

Filmer la mémoire : l’esthétique volontairement obsolète de Frías

Frías reçoit les consignes au printemps 2023 : pas d’interviews, pas de fans face caméra, le groupe s’exprimera uniquement par la musique. Le cinéaste mexicain propose alors une approche radicale : filmer avec des technologies obsolètes. VHS, lecteurs DVD et tubes cathodiques deviennent alors les outils d’une métaphore visuelle. L’obsolescence technique reflète le thème central de Memento Mori.

Le film s’ouvre sur une vieille télévision Sony diffusant « Ghosts Again ». Un mur d’écrans vintage déploie des fragments du clip, des crânes et des rémanences. Les coulisses sont filmées avec la pire caméra VHS disponible, volontairement dégradée. Frías cherche à montrer qu’un groupe qui traverse quatre décennies garde toute sa puissance, quel que soit le support.

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La structure du film ne suit pas l’ordre de la setlist. Le réalisateur construit une dramaturgie cinématographique en insérant des respirations poétiques entre les morceaux. Des voix d’anthropologues et d’écrivains ponctuent le récit. L’ouverture impose « My Cosmos Is Mine », une tentative de reprise de contrôle face au chaos.

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Le Mexique, matrice symbolique du film

Frías refuse le cliché facile du Día de los Muertos. Il explore plutôt le Mictlán et ses neuf passages, ainsi que le sacrifice individuel pour le bien commun. La scène devient une pyramide : on y monte pour donner, pas pour dominer. L’acteur Daniel Giménez Cacho pose ce cadre symbolique dès le début du film.

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Le cinéaste intègre également l’image du Coatēpantli, ce mur de crânes humains qui soutient et construit. La mort devient une brique, une fondation plutôt qu’une fin. Cette pluralité culturelle s’élargit progressivement, du Mexique contemporain à Gilgamesh, des Mexicas aux Sumériens. Frías insiste pour que le film devienne un voyage à travers des strates en résonance avec la musique.

Un motif visuel traverse le film : le globe de verre contenant des visages et des éclats de concert. Gahan apparaît sous cloche, comme un ectoplasme prisonnier d’une bulle spectrale. Frías explique vouloir traduire l’expérience électrique et organique du concert, et préserver l’intensité dans la mémoire. Ce globe rappelle inévitablement la rose éternelle de Violator, emblème rouge et noir créé par Anton Corbijn.

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L’ombre de Corbijn : un héritage visuel incontournable

Depuis quarante ans, Corbijn est la seconde peau visuelle du groupe. Sur Memento Mori, il signe la pochette avec ses ailes funéraires en fleurs, la scénographie de la tournée et les typographies. Son intention : marquer l’absence sans l’illustrer. L’image forte de l’album montre Gahan et Gore de dos, avec l’ombre portée de Fletcher, en référence directe à « World in My Eyes ».

Frías se démarque volontairement de l’approche du photographe néerlandais. Il ne cherche pas à reproduire le documentaire 101 de D. A. Pennebaker ou Spirits in the Forest. Le dernier film de Corbijn mettait les fans au centre ; M se concentre exclusivement sur la performance et la musique. Deux regards cohabitent sans se parasiter : l’iconographie minimaliste de Corbijn et la poésie documentaire de Frías.

Le réalisateur avoue ne pas avoir parlé à Corbijn avant le tournage, par respect, mais aussi par intimidation. Son nom n’a jamais été évoqué durant le projet. Pourtant, Frías laisse respirer la scénographie de Corbijn, notamment sur « Everything Counts », où un danseur ganté mime les paroles en langue des signes.

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« In the End » : une épitaphe lumineuse

Le film se referme sur un titre inédit, « In the End », coécrit par Gore et Richard Butler, chanteur du groupe Psychedelic Furs. Ce morceau faisait partie des quatre titres écartés des sessions originales. Il réapparaît le 5 décembre 2025 dans le coffret Memento Mori : Mexico City. La voix de Gahan y avance comme une marche funèbre en apesanteur : « We’re all nothing in the end ».

Plus loin, cette phrase saisit : « Heaven knows what’s underneath, I use these words without belief ». Chez Depeche Mode, la foi semble être devenue un geste esthétique, un souvenir d’humanité. Musicalement, le titre prolonge la ligne claire de Memento Mori : épure synthétique, tension contenue, contours fin des années 1980-début des années 1990, sans nostalgie décorative.

Frías explique que le choix de conclure sur ce morceau s’est imposé naturellement. Martin Gore voulait finir sur quelque chose de lumineux, quitter la salle le cœur léger. Memento mori signifie également « vis maintenant », une joie consciente née de la lucidité.

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« Depeche Mode : M » : un film bouleversant sur la perte, la mémoire et la renaissance du groupe
Une scène extraite du film « Depeche Mode : M » – © Depeche Mode

Un héritage musical qui dépasse les générations

Au Mexique, peu de groupes parviennent à toucher des cercles sociaux aussi différents. Des goths de l’underground aux mariages où l’on danse sur « I Just Can’t Get Enough ». Cette connexion douce avec l’obscurité permet à la pop d’assumer le grand public sans renier son identité. Frías le compare aux bonbons mexicains, à la fois doux et acides.

L’influence de Depeche Mode irrigue le metal avec Rammstein et Marilyn Manson, le rock avec Johnny Cash, le goth avec Ghost et Lacuna Coil. La techno et l’EDM ont repris leurs lignes de basse efficaces. En France, Indochine revendique cette empreinte depuis longtemps. L’intronisation au Rock & Roll Hall of Fame en 2020 et la proclamation du Depeche Mode Day à Los Angeles confirment que l’esthétique des marges a redessiné le centre.

La dernière scène du film montre Gahan et Gore marchant côte à côte dans une nef d’acier et de verre. Deux ombres tirent leur révérence dans un rêve brutaliste, sans décor ni public. Le 28 octobre 2025, lors de l’avant-première parisienne à l’UGC Bercy, personne ne bouge, personne n’applaudit. Un silence compact envahit la salle.

Frías assume cette ambiguïté finale : fin ou recommencement ? La question reste entière. En 2023, Gahan avait confié que la musique et ce que représente Depeche Mode survivraient aux individus. Le réalisateur reste laconique sur l’héritage : « Ce serait difficile d’exprimer tout ça uniquement avec des mots. Il n’y a jamais vraiment de fin. »

Le coffret Mexico City clôt le chapitre avec quatre titres inédits supplémentaires. « Give Yourself to Me » déroule un mid-tempo spectral. « Life 2.0 » pulse sur une voix traitée quasi robotique. « Survive » s’ouvre comme une ombre distordue de « Walking in My Shoes », avec un refrain-mantra qui se termine par un « we’ll survive, we’ll still survive ». Ce mot résume le projet : habiter le désespoir sans s’y noyer.

Depeche Mode : M n’est ni une captation, ni un best of, ni un documentaire. Certains y verront une frustration légitime : setlist partielle, ellipses, voix off contemplative. D’autres reconnaîtront un choix assumé d’auteur. Le film penche du côté obscur, mais offre une ouverture. La rose ne fane pas, elle vibre encore.

Questions fréquentes

De quoi parle exactement le film « Depeche Mode : M » ?

Le film retrace la tournée Memento Mori et explore le deuil du groupe après la mort d’Andy Fletcher, à travers une mise en scène visuelle expérimentale de Fernando Frías.

En quoi ce documentaire se distingue-t-il des précédents films sur Depeche Mode ?

Contrairement à « 101 » ou « Spirits in the Forest », M se concentre exclusivement sur la performance et la dimension symbolique, sans interviews ni présence de fans.

Pourquoi Fernando Frías utilise-t-il des technologies obsolètes ?

Le cinéaste choisit la VHS, les écrans cathodiques et les images dégradées pour créer une métaphore visuelle de la mémoire, de l’obsolescence et de la survivance.

Le film aborde-t-il directement la mort d’Andy Fletcher ?

Oui, mais de manière subtile : l’absence de Fletcher structure le film, sans recours à un dispositif explicatif ou biographique traditionnel.

Le film s’adresse-t-il uniquement aux fans du groupe ?

Non. L’approche poétique et visuelle de Frías permet une lecture plus large, même pour ceux qui ne connaissent pas intimement Depeche Mode.

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