Après plusieurs décennies de maturation, Guillermo del Toro livre enfin son adaptation tant attendue de Frankenstein. Le réalisateur mexicain oscarisé s’empare du mythe fondateur de Mary Shelley pour en proposer une adaptation respectueuse du texte original, tout en y insufflant ses obsessions artistiques les plus personnelles.
Ce long-métrage de 149 minutes, disponible sur Netflix à partir du 7 novembre 2025, réunit un casting remarquable : Oscar Isaac dans le rôle du scientifique Victor Frankenstein, Jacob Elordi en créature et Mia Goth en Elizabeth Lavenza.

Un projet risqué, porté par une vision singulière
Se confronter au mythe de Frankenstein est un défi colossal pour tout cinéaste. Le personnage créé par Mary Shelley en 1818 a donné lieu à près de 190 adaptations, auxquelles se sont ajoutées des dizaines de relectures au cours des trois dernières décennies. Del Toro ne cherche pourtant pas à se démarquer par des changements radicaux, mais révèle plutôt des dimensions narratives que ses prédécesseurs avaient négligées.
Le film a été présenté en première mondiale lors de la 82e édition du festival de Venise, le 30 août 2025, avant sa sortie limitée dans les salles américaines, le 17 octobre.
Une structure narrative en deux temps
Le réalisateur divise son récit en deux parties distinctes. La première suit le point de vue de Victor Frankenstein, un médecin visionnaire, animé par un ego démesuré et le désir de rivaliser avec Dieu. Après avoir démontré sa capacité à ressusciter des tissus inertes devant ses pairs, il accepte le pacte faustien proposé par un aristocrate nommé Harlander, incarné par Christoph Waltz. Épaulé par son frère William et par Elizabeth, la nièce de Harlander, il façonne un être nouveau à partir de dépouilles de soldats.
La seconde partie adopte le point de vue de la créature elle-même. Pour marquer cette césure, Del Toro filme deux fois l’explosion d’une tour gothique : d’abord à hauteur d’homme, puis dans un cadrage plus large, invitant le spectateur à prendre du recul face au calvaire que l’humanité réserve au monstre. Cette créature retrouve le verbe raffiné et la voix poétique du roman original, une dimension que seul Bernard Rose avait portée à l’écran auparavant.
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Jacob Elordi bouleversant sous le maquillage
Le choix de confier le rôle de la créature à Jacob Elordi, jeune acteur australien révélé dans Saltburn et Euphoria, marque une rupture avec les représentations habituelles. Del Toro souligne dès le départ l’étrange magnétisme de cet Adam moderne, prenant le contrepied du monstre difforme incarné par Boris Karloff.
Bouleversant sous le maquillage, il développe un langage corporel fascinant et évoque par sa candeur et sa souffrance l’Edward aux mains d’argent de Tim Burton. Son visage ne sera dévoilé sans aucun effet de mise en scène qu’à la fin du film.

Un travail de conception visuelle remarquable
C’est le sculpteur Mike Hill, ancien collaborateur de Rick Baker et créateur de l’homme-poisson dans La Forme de l’eau, qui a conçu le monstre. Affichant des muscles dont les contours se dessinent grâce à des coutures fraîchement cicatrisées, la créature ressemble à une sculpture de marbre ou d’ivoire comparable aux bustes anatomiques que Victor Frankenstein étudie dans son laboratoire.
Cette apparence particulière évoque également les cercueils de marbre engloutissant les parents de Victor, portant en elle l’allégorie du lien conflictuel entre père et fils.
L’art et la science entremêlés
Del Toro s’attarde sur la porosité entre l’ingénierie, la biologie et toutes les formes d’expression artistique du début du XIXe siècle. Harlander adapte l’art de la nature morte à la photographie naissante, puis documente la fabrication du monstre sur fond de valse d’Alexandre Desplat.
La tour choisie pour l’expérience devient conductrice d’électricité, transformant un symbole de transcendance divine en instrument scientifique. Elizabeth, incarnée par Mia Goth, partage avec Victor cette fascination pour repousser les limites, sa passion pour les insectes influençant ses émotions et son esthétique.

Une palette de couleurs symbolique
Comme toujours chez Del Toro, les couleurs revêtent une importance capitale. Victor est caractérisé par le rouge vif du sang, hérité du voile que portait sa mère mourante ; cette couleur se propage à ses gants lorsqu’il mène son expérience contre-nature. Elizabeth arbore longtemps le vert, symbole de vie et de compassion, puis intègre progressivement des parures rouges à mesure qu’elle s’éprend de Victor, avant de revenir à sa couleur originelle lorsqu’elle lui tourne le dos. Les générateurs électriques du laboratoire passent du vert à l’état inerte au rouge vif sous l’effet de l’électricité.
Le monstre est d’abord enveloppé de bandes dorées, comme le soleil au réveil, puis il se recouvre d’un manteau aux reflets terreux après la mort de l’aveugle. Ces explosions de teintes sont magnifiées par la photographie de Dan Laustsen, directeur de la photographie sur Crimson Peak et Nightmare Alley. Le réalisateur est reconnu pour ses ambiances oppressantes, construites autour de tons bleus et verts foncés, qui créent une atmosphère gothique reconnaissable.
Le chapitre féerique de l’aveugle
Ce long chapitre permet à Del Toro de faire ressortir le caractère féerique du récit original. Cette cabane perdue au milieu d’une nature sauvage, régulièrement assiégée par des loups, semble tout droit sortie des contes des frères Grimm, publiés quelques années avant Frankenstein.
Les souris qui tiennent compagnie au monstre entre les engrenages du moulin auraient pu se retrouver dans Blanche Neige. Del Toro devient ainsi le premier cinéaste à réinscrire Frankenstein dans la tradition du conte, ne serait-ce que brièvement.
Cette atmosphère féerique est brutalement déchirée par une explosion de violence, lorsque la créature arrache la mâchoire d’un paysan xénophobe. L’effort graphique global se situe au carrefour du gothique, du romantisme et d’un onirisme rappelant La Belle et la Bête de Jean Cocteau lors des scènes se déroulant dans le château.

Des chapitres enneigés lovecraftiens
Les séquences enneigées qui encadrent le récit s’inspirent à la fois du roman de Mary Shelley et des écrits de H. P. Lovecraft. La vision du bigot brillant qu’était Lovecraft et sa peur de l’autre sont renversées de la plus belle des façons. Ces minutes offrent un aperçu de ce qu’aurait pu être l’adaptation des Montagnes hallucinées par Del Toro, un projet abandonné, avant de nous submerger sous un torrent d’émotions. Le cinéaste mexicain puise régulièrement son inspiration chez Lovecraft, mais aussi chez des artistes comme Gustave Doré.
Un casting au service du propos
Oscar Isaac incarne un Victor Frankenstein parfait : brillant, mais égocentrique. Le rôle de la créature devait initialement être tenu par Andrew Garfield, mais c’est finalement Jacob Elordi qui l’a obtenu, et sa performance est saluée par tous. Mia Goth livre une prestation remarquable dans le rôle d’Elizabeth. Le casting compte également Felix Kammerer, Charles Dance dans un rôle glaçant de père violent, David Bradley, Lars Mikkelsen et Christian Convery.
Une vision émotionnelle forte
À la différence des nombreuses adaptations horrifiques, Del Toro considère Frankenstein comme une tragédie depuis qu’il a découvert Boris Karloff dans le film de 1931, alors qu’il était enfant. En 149 minutes, il livre une vision émotionnelle puissante, une allégorie sur l’arrogance humaine, la violence et l’obsession.
Cette adaptation à la magnificence gothique rappelle le Dracula de Francis Ford Coppola, tant par les décors que par l’atmosphère et les costumes.
Le tournage a débuté en février 2024 pour s’achever sept mois plus tard. Le film a reçu des critiques généralement positives, saluant notamment la performance d’Elordi. Del Toro, qui a remporté l’Oscar du meilleur film et le Lion d’or pour La Forme de l’eau en 2017, a une filmographie éclectique, allant de Cronos à Pacific Rim en passant par Le Labyrinthe de Pan.
Un univers visuel immédiatement reconnaissable
Depuis ses débuts comme maquilleur et spécialiste des effets spéciaux, Guillermo del Toro a développé un style visuel immédiatement identifiable. Ses films débordent de sensibilité et de mélancolie, mêlant le monde des films de monstres, des comics et des images exubérantes issues de son imagination débordante. Il crée une palette visuelle sur mesure tout en rendant hommage aux œuvres classiques. Ses décors et ses ambiances sont reconnaissables entre tous, signe d’un grand réalisateur.
Disponible sur Netflix le 7 novembre 2025.



