Le comité Nobel norvégien a décerné le Prix Nobel de la paix 2025 à María Corina Machado pour son engagement infatigable en faveur des droits démocratiques du peuple vénézuélien. Cette distinction récompense une femme qui refuse de se soumettre à l’autoritarisme et qui incarne, depuis plus de deux décennies, l’espoir d’une transition pacifique vers la démocratie dans son pays.
Un parcours forgé par l’engagement démocratique
Née le 7 octobre 1967 dans une famille aisée de Caracas, María Corina Machado a grandi dans un environnement privilégié. Fille aînée d’une famille d’industriels spécialisés dans la sidérurgie, elle a fréquenté une école catholique d’élite pour filles à Caracas, puis a poursuivi sa scolarité dans un pensionnat du Massachusetts. Elle qualifie elle-même sa jeunesse d’« enfance protégée du contact avec la réalité ».
Diplômée en ingénierie de l’université catholique Andrés-Bello et titulaire d’un master en finance, elle commence sa carrière dans l’entreprise familiale, Sivensa. Parallèlement, en 1992, elle crée la fondation Atenea, qui vient en aide aux enfants vivant dans la pauvreté à Caracas.
Son engagement politique commence véritablement en 2002, lorsqu’elle cofonde Súmate, une organisation de surveillance électorale qui milite en faveur d’élections libres et équitables. Elle déclare alors : « C’était un choix entre les urnes et les balles. » Cette organisation mène alors un combat pour organiser un référendum révocatoire contre Hugo Chávez, recueillant trois millions de signatures.
De l’Assemblée nationale à la clandestinité
Élue à l’Assemblée nationale en 2010 avec un nombre record de voix, María Corina Machado devient rapidement une figure incontournable de l’opposition vénézuélienne. Elle dirige le parti Vente Venezuela et défend sans relâche l’indépendance judiciaire, les droits humains et la représentation populaire.
Depuis l’avènement du chavisme, le Venezuela traverse une transformation dramatique. Le pays est passé d’une nation relativement démocratique et prospère à un État autoritaire et brutal, confronté à une crise humanitaire et économique sans précédent. Près de huit millions de Vénézuéliens ont fui le pays, fuyant la misère et la répression.
En octobre 2023, María Corina Machado remporte les primaires de l’opposition avec plus de 90 % des voix et trois millions de votants. Cette démonstration de force lui vaut le surnom de « libertadora », en référence à Simón Bolívar, le libérateur du continent sud-américain. Cependant, le régime de Nicolás Maduro la déclare inéligible pour des irrégularités financières présumées commises durant son mandat législatif.
Une campagne menée dans l’ombre du danger
Interdite de se présenter à l’élection présidentielle de 2024, María Corina Machado apporte son soutien à Edmundo González Urrutia. Elle parcourt inlassablement le pays en voiture, car elle lui est interdit de prendre l’avion. Ses apparitions publiques sont marquées par des cris, des pleurs et des bousculades.
Le comité Nobel souligne l’innovation et le courage de cette campagne. Des centaines de milliers de volontaires sont mobilisés, au-delà des clivages politiques. Formés comme observateurs électoraux, ils veillent à la transparence du scrutin. Malgré les risques de harcèlement, d’arrestation et de torture, des citoyens surveillent les bureaux de vote à travers tout le pays. Ils veillent à ce que les résultats soient consignés avant que le régime ne détruise les bulletins et ne falsifie les résultats.
Lors du scrutin de juillet 2024, Nicolás Maduro est proclamé vainqueur avec 52 % des suffrages par le Conseil national électoral, considéré comme étant aux ordres du pouvoir. L’autorité électorale ne publie pas le détail des votes, invoquant un piratage informatique. L’opposition revendique la victoire avec plus de 67 % des voix et publie les procès-verbaux collectés dans les bureaux de vote, démontrant selon elle son large avantage.
Une résistance qui inspire des millions de personnes
Depuis l’élection contestée, María Corina Machado vit cachée. Des menaces sérieuses pèsent sur sa vie, mais elle refuse de quitter le Venezuela, contrairement à Edmundo González Urrutia, qui a dû s’exiler en septembre, face au mandat d’arrêt émis contre lui. « Malgré les graves menaces qui pèsent sur sa vie, María Corina Machado est restée dans son pays, un choix qui a inspiré des millions de personnes », souligne le comité Nobel.
Fin septembre 2024, lors d’un entretien avec l’Agence France-Presse, elle explique vivre parfois « des semaines sans contact humain ». Réfugiée dans un lieu tenu secret, elle continue néanmoins de mener son combat à travers des interviews virtuelles et des débats sur Internet, toujours dans un décor neutre afin de ne pas révéler sa localisation. Elle affirme : « Je suis là où je me sens le plus utile pour la lutte. »
« Si quelque chose m’arrive, la consigne est très claire (…), personne ne négociera la liberté du Venezuela contre la mienne », avait-elle déclaré lors de cette interview. Cette détermination incarne, selon le comité Nobel, les outils de la démocratie, qui sont aussi les outils de la paix.
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Une reconnaissance internationale face au recul démocratique
Le comité Nobel norvégien justifie son choix par le contexte mondial actuel. La démocratie recule en effet partout dans le monde, et de plus en plus de régimes autoritaires défient les normes internationales en recourant à la violence. En 2024, le nombre d’élections a atteint un niveau sans précédent, mais de moins en moins d’entre elles sont libres et équitables.
L’attribution du prix Nobel de la paix 2025 à María Corina Machado s’inscrit dans la tradition du comité norvégien qui a par le passé honoré des femmes courageuses luttant pour la démocratie. En 2023, Narges Mohammadi, militante iranienne des droits des femmes, a été distinguée. En 1991, Aung San Suu Kyi du Myanmar a reçu le prix pour « sa lutte non violente pour la démocratie et les droits humains ». Toutes deux étaient emprisonnées au moment de leur distinction et le sont encore aujourd’hui, dans un état de santé préoccupant.
Jørgen Watne Frydnes, le président du comité Nobel norvégien, a expliqué aux journalistes que les juges avaient pris en compte les implications sécuritaires liées à l’attribution du prix à María Corina Machado. « C’est une discussion que nous avons chaque année pour tous les candidats, en particulier lorsque la personne qui reçoit le prix est en fuite en raison de graves menaces pesant sur sa vie », a-t-il déclaré, ajoutant que le comité estime que cette distinction soutiendra sa cause.
Le comité Nobel affirme que María Corina Machado remplit les trois critères énoncés dans le testament d’Alfred Nobel pour la sélection d’un lauréat du prix de la paix. Elle a rassemblé l’opposition de son pays. Elle n’a jamais failli dans sa lutte contre la militarisation de la société vénézuélienne. Elle est restée inébranlable dans son soutien à une transition pacifique vers la démocratie.
Les réactions à cette distinction
Edmundo González Urrutia, le candidat qu’elle a soutenu lors de l’élection présidentielle, a salué une « très juste reconnaissance pour la longue lutte d’une femme et de tout un peuple en faveur de notre liberté et de notre démocratie ». L’opposition vénézuélienne a bénéficié d’un important soutien international, les États-Unis, l’Europe et de nombreux pays d’Amérique latine ne reconnaissant pas la réélection de Nicolás Maduro.
La Maison Blanche a critiqué la décision du comité Nobel. Steven Cheung, directeur de la communication, a déclaré sur X que le comité avait « prouvé qu’il privilégiait la politique à la paix », Donald Trump ayant réclamé pendant des mois que le prestigieux prix lui revienne. Le président américain a affirmé que ne pas lui attribuer le Nobel serait une « insulte » contre les États-Unis.
L’ONU a salué l’attribution du prix à María Corina Machado. Le comité Nobel espère qu’elle pourra assister à la cérémonie de remise du prix en décembre, mais cela dépendra de la situation sécuritaire. Cette année, 338 individus et organisations avaient été proposés pour le prix Nobel de la paix.
María Corina Machado a également été nommée parmi les 100 femmes de la BBC en 2018 et figure dans la liste des 100 personnes les plus influentes du magazine Time en 2025. Âgée de 58 ans, elle incarne l’espoir d’un avenir différent, dans lequel les droits fondamentaux des citoyens sont protégés et leur voix entendue.
Un symbole de la défense des libertés
Le comité Nobel insiste sur l’importance de reconnaître les défenseurs courageux de la liberté qui se dressent face aux régimes autoritaires. « Lorsque des autoritaires s’emparent du pouvoir, il est essentiel de reconnaître les défenseurs courageux de la liberté qui se soulèvent et résistent », affirme le communiqué. La démocratie dépend de personnes qui refusent de se taire, qui osent avancer malgré les risques considérables et qui rappellent que la liberté ne doit jamais être considérée comme acquise.
Selon le comité, María Corina Machado représente cette catégorie d’individus qui défendent la liberté « avec des mots, avec courage et avec détermination ». Elle incarne l’espoir d’un avenir où les citoyens pourront enfin vivre en paix. Sa lutte démontre que les outils de la démocratie sont aussi ceux de la paix.
Cependant, le régime vénézuélien continue de maintenir une mainmise rigide sur le pouvoir et de réprimer la population. Les troubles post-électoraux ont été durement réprimés, faisant 28 morts, plus de 200 blessés et plus de 2 400 arrestations pour « terrorisme ». Une mission d’experts de l’ONU a constaté une intensification de la répression politique ces derniers mois.
Thomas Posado, maître de conférences à l’université de Rouen, explique à BFMTV que María Corina Machado a été déclarée inéligible « en raison de manipulations juridiques du gouvernement Maduro ». Malgré ces obstacles, elle demeure le visage et l’âme de l’opposition vénézuélienne. Son combat s’inscrit dans la durée, puisqu’elle milite pour la démocratie depuis plus de vingt ans.



