Sorti le 25 juillet 2025 dans les salles chinoises, Le Studio photo de Nankin a provoqué une onde de choc en Chine. Réalisé par Ao Shen, le film s’inspire de faits réels et revient sur l’invasion de Nankin par l’armée impériale japonaise en décembre 1937.
Cette superproduction raconte l’histoire de Luo Jin, un jeune apprenti de 15 ans qui travaillait dans un studio photographique de la ville. Lorsqu’il développe les pellicules apportées par un officier japonais, il découvre des images effroyables témoignant des atrocités commises par les soldats : tueries, viols de femmes et pillages.
Un succès foudroyant au box-office !
Le film a connu un démarrage fulgurant à sa sortie, devenant « le premier film à dépasser ce seuil depuis le Nouvel An lunaire 2025 », période traditionnellement propice au marché cinématographique chinois. En huit jours seulement, il a rapporté plus de 1 milliard de yuans, soit environ 120 millions d’euros.
Cette performance commerciale témoigne de l’impact du film sur le public chinois, qui s’est massivement rendu dans les salles obscures. Au terme de son exploitation, Le Studio photo de Nankin a cumulé plus de 370 millions de dollars de recettes.

Une histoire vraie qui a marqué l’histoire
Le film repose sur un événement historique majeur. « Il a pris le risque de garder des dizaines de photos, puis en a sélectionné seize qu’il a reliées en un album », précise l’agence de presse officielle Xinhua. Cet album photographique a joué un rôle déterminant lors du « procès de Nankin » en février 1946, au cours duquel des criminels de guerre japonais ont été condamnés. Les clichés sont désormais conservés aux Archives historiques de Chine, à Nankin, la capitale actuelle de la province du Jiangsu. Le jeune apprenti photographe a ainsi contribué, par son courage, à établir la preuve des crimes de guerre commis lors de l’un des épisodes les plus sombres du conflit sino-japonais.
Des réactions qui glacent les salles
Dès sa sortie, Le Studio photo de Nankin a suscité de vives réactions dans les cinémas chinois. « À la fin des séances, les salles ne sont pas bruyantes, mais plongées dans le silence », décrit l’article du site 1905 Dianying Wang, plateforme officielle de la chaîne cinématographique CCTV 6. Ce silence contraste avec l’agitation habituelle du public à la fin d’un film. Ce mutisme traduit l’émotion intense provoquée par le récit des massacres perpétrés il y a près de 88 ans.
Un film qui interroge sur la violence à l’écran
Malgré l’intérêt du public, certains Chinois ont mis en garde contre la vision du film par les enfants en raison de la violence des images. Le site de la CCTV 6 rapporte néanmoins les propos de certains parents : « Mon enfant m’a dit qu’il avait compris et qu’il n’oublierait pas. »
Ces témoignages révèlent la dimension pédagogique que certaines familles accordent à ce type de production historique, malgré les scènes difficiles à regarder. La question de l’âge approprié pour visionner un tel film reste un sujet de débat au sein de la société chinoise.
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Quand le film réveille les tensions
L’opinion publique s’est enflammée après la sortie du film. Le 27 juillet, une jeune mère a insinué à sa fille qu’il fallait tuer les Japonais en sortant de la salle. « Sais-tu maintenant que les Japonais sont cruels ? » demande la mère ; « Oui », répond la fillette en pleurant, relate le dissident chinois Li Ying sur X.
Le lendemain, l’agence de presse Xinhua a publié une vidéo montrant un garçon de 9 ans du Henan qui « a déchiré spontanément sa précieuse collection de bandes dessinées japonaises une fois rentré à la maison » après avoir vu le film. Cette vidéo a provoqué un véritable ouragan médiatique dans le pays, avant d’être rapidement retirée le 29 juillet.
Des médias officiels accusés d’attiser la haine
Les répercussions du phénomène ont été immédiates. « Plusieurs blogueurs chinois ont montré des images de leurs enfants détruisant leurs cartes Ultraman [série télévisée japonaise de science-fiction] après avoir vu le film », poste Li Ying sur X. Le dissident dénonce certains médias qui ont profité de la « haine ethnique » pour gagner en audience et appelle à « ne pas laisser l’innocence des enfants devenir l’outil de certains médias ».
Le blogueur Shenye Yizhimao a exprimé son désaccord avec la promotion de la haine par les médias officiels. « Les bandes dessinées sont le fruit des échanges entre les peuples chinois et japonais ; elles sont aussi porteuses de souvenirs d’enfance », écrit-il.
Le débat sur l’éducation à la haine
Face aux critiques, les médias d’État ont réagi avec vigueur. « Il ne fait aucun doute que le massacre de Nankin a été l’un des moments les plus sombres de l’histoire de l’humanité », écrit le blogueur Shenye Yizhimao, poursuivant avec prudence : « N’oublions pas que l’histoire sert à préserver la paix et à empêcher de nouvelles tragédies. Il ne s’agit certainement pas d’inspirer la haine, ni même de l’inciter. »
Le journal nationaliste Huanqiu Shibao a dénoncé, dans son édition du 30 juillet, « une cyberintimidation » visant le film et « la stigmatisation de la commémoration historique, qualifiée d’« éducation à la haine » par des internautes. Le quotidien vante le film, le décrivant comme « une importante œuvre d’art antiraciste » qui va « au-delà de la routine traditionnelle consistant à “pardonner” ou à “comprendre” les envahisseurs ».
Des agressions qui suscitent l’inquiétude
Moins de vingt-quatre heures après la parution de l’éditorial du Huanqiu Shibao, « une mère et son fils japonais ont été agressés à Suzhou, dans la province du Jiangsu », rapporte Nikkei Asia. La mère a été blessée, mais ses jours ne sont pas en danger. Le journal rappelle une autre attaque survenue dans la même ville en juin 2024, lorsqu’un Chinois a attaqué un bus scolaire japonais avec une arme blanche : « une accompagnatrice chinoise qui tentait d’empêcher l’agresseur a été poignardée et est morte ». L’agresseur, un Chinois de 52 ans, a été exécuté quelques mois plus tard, sans que cela ne fasse grand bruit dans la société.
Un thème déjà exploré au cinéma
Le massacre de Nankin n’est pas un sujet nouveau pour le cinéma chinois. En 2009, le réalisateur Lu Chuan avait déjà abordé ce thème dans son film City of Life and Death. Ce film en noir et blanc retraçait les six semaines de violence qui ont suivi la prise de Nankin par l’armée japonaise en 1937, en suivant plusieurs personnages, dont un soldat chinois, une institutrice et l’industriel allemand John Rabe. La production de Lu Chuan avait choisi de montrer les événements sous différents angles, y compris celui des soldats japonais, ce qui avait provoqué une polémique en Chine à l’époque.
Un outil de mémoire qui divise
Le film soulève la question de l’utilisation du cinéma comme vecteur de mémoire collective. D’un côté, il rappelle des faits historiques avérés et rend hommage aux victimes du massacre. De l’autre, il provoque des réactions qui interrogent sur les limites entre commémoration et instrumentalisation.
Le débat reste ouvert sur la manière dont les œuvres cinématographiques doivent aborder les traumatismes historiques sans attiser les tensions contemporaines. La polémique autour du film témoigne de la sensibilité de la mémoire des conflits passés dans les relations sino-japonaises actuelles.
Le Studio photo de Nankin sera diffusé dans les salles françaises à partir du 19 novembre 2025.



