Avec sa collection Printemps 2026 de LỰU ĐẠN, Hung La achève un cycle créatif pensé en trois temps. Après avoir exploré avec radicalité les figures du rebelle et du criminel masqué, ces hommes qui choisissent une apparence menaçante pour contrer leur invisibilité sociale, le créateur change de cap.
La troisième partie de ce projet, baptisée « No Man’s Land », déplace le propos vers un territoire plus nuancé et introspectif. Ce nom évoque un espace indéfini, mais aussi une zone contestée, un entre-deux où tout reste à construire, un lieu de transition. La saison dernière semblait avoir atteint un sommet d’obscurité, une impasse stylistique où le noir et les codes de la rue dominaient. Il ne restait donc plus au créateur qu’à se tourner vers la lumière, seule issue possible pour continuer à avancer.

Cette nouvelle orientation se perçoit dès le premier regard porté sur les silhouettes. Les volumes, souvent amples et saisissants chez LỰU ĐẠN, se déclinent cette saison dans une palette de teintes douces et apaisantes. Des nuances de vanille, de crème pâtissière et de beurre frais remplacent les noirs profonds. Ce passage vers la clarté est parfois le fruit d’un processus de transformation délibéré. Un denim initialement noir a par exemple été blanchi chimiquement, comme pour aspirer les ténèbres.
D’autres pièces, comme un manteau ample en jersey ouatiné ou une réinterprétation en velours du gilet pare-balles, expriment également une douceur protectrice. « On ne sait pas quand le soleil se montrera, et ce type reste très rebelle ; il n’a pas trouvé sa place dans le monde, mais il commence à prendre pied dans la société », confie Hung La à propos de son personnage. L’homme LỰU ĐẠN n’a pas renoncé à sa défiance, mais il entrevoit une possibilité d’intégration.

Le créateur vietnamien souligne l’importance de représenter l’expérience des travailleurs manuels. C’est une manière directe de parler de la génération de ses parents et de leur parcours migratoire. « Le chauffeur de taxi, l’ouvrier d’usine ; ils étaient éduqués et reconnus dans leur pays d’origine, puis sont venus en Amérique, où ils ont été oubliés, sans espace pour exister. »
Cette volonté d’honorer ceux que la société ignore, ces fantômes du rêve américain, explique sans doute pourquoi Hung La n’hésite jamais à amplifier les volumes. Ses vêtements fonctionnent comme une seconde peau, une armure symbolique pour ceux qui se sentent vulnérables, mais refusent de se soumettre. Il ne s’agit pas de romantiser la précarité, mais de montrer comment la résilience se transforme en force.
Suivez toute l’actualité d’Essential Homme sur Google Actualités, sur notre chaîne WhatsApp, ou recevoir directement dans votre boîte mail avec Feeder.
Pourtant, la rigueur et la précision qu’il a acquises lors de ses passages dans les grandes Maisons de luxe françaises continuent de structurer sa manière de concevoir les vêtements. Cette exigence technique s’applique de manière égale à des bâches industrielles achetées sur Amazon, à du ruban réfléchissant de sécurité ou à des tissus plus nobles. Le client habituel ne se tournera peut-être pas immédiatement vers une paire de chaps de hors-la-loi, mais celui qui osera franchir le pas découvrira une confection impeccable et un sens du détail poussé.
Les matières brutes, celles de la survie et du travail, sont ici travaillées avec une précision et un soin hérités de la haute couture. C’est dans ce contraste que réside une partie de la singularité de la marque.

La collection s’inspire également de plusieurs thèmes secondaires qui enrichissent le propos principal. Des tricots « down-cyclés », patiemment rapiécés à partir de pulls vintage, témoignent d’une approche réfléchie de la production. Des imprimés forts s’inspirent de l’esthétique des prospectus punks, avec leurs graphismes anarchiques et leur énergie brute.
Une incursion dans le vestiaire militaire se manifeste également à travers un blouson bomber kaki fonctionnel et un imposant manteau de cuir ayant l’air d’avoir vécu plusieurs vies. Enfin, des pièces en flanelle ouatinée à carreaux gris et noir, selon les mots du créateur, introduisent une ambiance décontractée propre à la côte ouest américaine, apportant une touche de quiétude à l’ensemble.
Après plus de trois ans d’existence, LỰU ĐẠN apporte une voix authentique et nécessaire, explorant les dualités entre violence et protection, ombre et espoir. Hung La reprend à sa manière la célèbre phrase de Léonard Cohen sur les fissures qui laissent passer la lumière. « Il y a tellement de fissures, n’est-ce pas ? Lorsque nous créons ces collections, nous nous adressons à des jeunes qui ressentent le besoin de se rebeller contre toutes les structures, contre toute forme de conformité. » Ces collections parlent vraiment du fait d’être un outsider », explique-t-il. Vous pouvez percevoir cette énergie aujourd’hui, elle a acquis sa propre vie. Une petite lueur peut faire une grande différence dans l’obscurité.