Cette nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans le microcosme parisien du luxe. Luca de Meo, patron de Renault depuis cinq ans, deviendra le nouveau dirigeant de Kering dès le 15 septembre prochain. François-Henri Pinault, aux commandes depuis 2005, passe la main à cet Italien de 58 ans qui n’a jamais travaillé dans la mode, mais qui pourrait bien être le sauveur tant attendu du géant français en perdition.
L’annonce, tombée lundi soir après la clôture des marchés, a immédiatement galvanisé les investisseurs. Les actions Kering ont bondi de 13 % en une journée, ce qui montre que cette nomination répond aux attentes du marché. En effet, la situation du groupe propriétaire de Gucci, Saint Laurent et Balenciaga est préoccupante.
Un empire en crise à la recherche d’un second souffle
Les chiffres parlent d’eux-mêmes et font froid dans le dos. Le cours de Bourse de Kering a chuté de 78 % depuis son pic de mi-2021, et de 28 % depuis le début de l’année 2025. Les revenus du premier trimestre ont chuté de 14 %, Gucci enregistrant une baisse de 25 %, Saint Laurent de 9 % et les autres marques de 11 %.
Cette dégringolade trouve principalement son origine chez Gucci, la « poule aux œufs d’or » du groupe, qui représente près de la moitié du chiffre d’affaires. La marque florentine traverse une métamorphose douloureuse depuis plusieurs années, enchaînant les changements de directeurs créatifs et de dirigeants. Cette instabilité désoriente les consommateurs et inquiète les analystes.
« Kering a besoin de changement, car les performances se détériorent toujours », analyse Luca Solca de Bernstein dans une note de recherche. L’expert souligne que cette chute s’explique « largement par la contraction des ventes de sa marque phare, Gucci, qui subit une métamorphose de plusieurs années ».
Le pari audacieux sur un outsider de l’automobile
Face à cette situation critique, François-Henri Pinault a pris une décision radicale en nommant Luca de Meo à la tête de son empire. Ce diplômé italien cumule trente années d’expérience dans l’automobile, ayant notamment passé des périodes remarquées chez Fiat, Alfa Romeo, Toyota, Volkswagen et Seat, avant de diriger Renault.
« Après vingt années de transformation de Kering en un acteur majeur du luxe mondial, le groupe est prêt pour une nouvelle étape de son développement », explique Pinault dans le communiqué officiel. « Dès 2023, j’ai engagé une réflexion sur l’évolution de la gouvernance du Groupe. C’est dans ce cadre que j’ai rencontré Luca de Meo. Son expérience à la tête d’un groupe international coté, sa compréhension fine des marques, son sens d’une culture d’entreprise forte et respectueuse, m’ont convaincu qu’il était le dirigeant que je recherchais pour insuffler une nouvelle vision et piloter ce chapitre de l’histoire de notre Groupe. »
Cette nomination surprend par son audace. Recruter un dirigeant issu du secteur automobile pour diriger un empire du luxe peut en effet sembler incongru. Pourtant, Kering a déjà tenté ce genre de paris par le passé, recrutant notamment Robert Polet depuis la division glaces et surgelés d’Unilever pour diriger Gucci Group de 2004 à 2011.
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Les atouts d’un manager reconnu
Les analystes financiers saluent globalement cette nomination. Thomas Chauvet de Citi met en avant les compétences de De Meo : « Il est perçu comme ayant largement contribué au redressement de Renault grâce au renouvellement des produits, à l’innovation technologique, à la transition vers les véhicules électriques, à l’élévation de la marque et au retour à la croissance et aux bénéfices. »
Luca Solca abonde dans ce sens : « La gestion de marque et le marketing sont son domaine de prédilection, ce qui correspond exactement à ce que fait l’industrie du luxe, pour laquelle il semble passionné. » L’analyste révèle même un détail croustillant : « Nous connaissions bien son affinité pour l’univers du luxe, en particulier sa passion pour les montres suisses compliquées dont nous avions discuté avec lui à la fin d’un événement Renault en mars 2022. »
Polyglotte confirmé parlant italien, anglais, français, allemand et espagnol, De Meo possède les atouts linguistiques indispensables pour diriger une entreprise multinationale. Son impressionnant CV dans l’automobile témoigne de sa capacité à redresser des situations complexes et à insuffler une nouvelle dynamique aux marques.
Les défis titanesques qui l’attendent
Malgré son optimisme mesuré, Luca De Meo hérite d’une mission particulièrement ardue. « La tâche qui attend Luca de Meo est titanesque », prévient Luca Solca. Le nouveau patron devra notamment superviser la transition créative majeure à laquelle plusieurs marques du groupe se préparent.
Chez Gucci, Demna, star actuelle de Balenciaga, prendra les rênes créatives le mois prochain. Ses premières créations seront dévoilées lors de la Fashion Week de Milan en septembre. Parallèlement, Pierpaolo Piccioli succède à Demna chez Balenciaga et présentera ses premières créations en septembre également. Louise Trotter fera également ses débuts chez Bottega Veneta cet automne.
Cette valse des créateurs intervient dans un contexte économique tendu pour le secteur du luxe. Les ventes ralentissent en Chine, les consommateurs contestent les hausses de prix répétées, et les politiques tarifaires imprévisibles compliquent la donne à l’échelle internationale.
« L’exécution des plans de redressement des marques de luxe est devenue plus complexe, longue, coûteuse et bien moins favorable aux marchés publics ces dernières années », tempère Thomas Chauvet. Cette difficulté reflète « la préférence des consommateurs pour les marques de premier plan plutôt que pour celles en mutation ».
Une nouvelle ère s’ouvre pour Kering
De Meo se montre confiant face à ce défi colossal. « J’aborde ce nouveau défi professionnel avec enthousiasme, empressement et confiance, inspiré par la force des marques du groupe et l’expertise de ses équipes », déclare-t-il. « Je suis convaincu qu’ensemble, nous continuerons à faire de Kering un acteur essentiel de l’industrie du luxe. »
François-Henri Pinault, qui conserve la présidence du conseil d’administration, pourra désormais se concentrer sur d’autres projets, notamment CAA, l’agence de talents hollywoodienne dans laquelle la famille Pinault a pris une participation majoritaire en 2023.
Ce changement de gouvernance marque la fin d’une époque et le début d’un nouveau chapitre pour Kering. Après avoir transformé PPR en géant du luxe, vendu les activités retail et sportives pour se concentrer sur le haut de gamme, le groupe mise maintenant sur l’expertise d’un manager extérieur pour retrouver sa splendeur d’antan.